L’année 2019 marquera sans aucun doute un tournant décisif dans notre Histoire contemporaine tant elle a été chargée d’événements induits par l’impressionnant mouvement citoyen pacifique, le «Hirak», qui a indéniablement ouvert au pays la voie vers de nouvelles perspectives politiques de changement et de renouveau. Un mouvement populaire qui a exprimé haut et fort les aspirations collectives à l’édification d’un Etat de droit, garant des libertés et des valeurs démocratiques, et respectueux des règles de gouvernance assainies de toutes formes de corruption, de prédation, de cooptation au pouvoir et de dilapidation des richesses au profit des clans et des sphères d’allégeance à un pouvoir en quête perpétuelle de reconduction.
Exprimant leur volonté de changer le logiciel politique imposé depuis trop longtemps à la société, les millions d’Algériens de tout âge et de toute catégorie sociale, allaient obtenir le retrait de la candidature du président Bouteflika qui, malgré sa longue et pénible maladie, briguait un cinquième mandat. Un mandat de trop qui ne pouvait que déclencher la colère et semer les germes de la violence, si ce n’était l’intervention rapide des responsables de l’institution militaire qui prirent la décision juste et sage de se ranger aux côtés du Hirak et de soutenir ses revendications. Le Hirak, un mouvement pourtant non structuré et sans représentants crédibles officiellement reconnus, allait vite refléter et traduire l’émergence d’une nouvelle conscience citoyenne et politique, ancrée sur l’aspiration à un profond changement dans le mode gouvernance et la pratique du Pouvoir.
«Dégagez tous !» a été le mot d’ordre reflétant l’ampleur du rejet affiché envers un régime qui a toujours renié les valeurs de démocratie, et de l’alternance au pouvoir. Un régime qui a toujours fonctionné au seul registre des luttes de clans, de la cooptation, du régionalisme, de la prébende et de corruption couverte par un totalitarisme mal déguisé par une démocratie virtuelle en éternel chantier.
Tout au long de ces 45 vendredis de marches et de manifestations, on a assisté souvent à l’émergence de certains paradoxes, interrogations et supputations visant, comme toujours, à diviser, affaiblir ou ternir l’image du Hirak et de ses revendications. Mais au delà des débats sur la nature et la motivation du mouvement, il faut bien admettre au final que le Hirak populaire algérien a signé une éclatante victoire sur le front du renouveau politique et changement.
La fin de l’année 2019 sera ainsi couronnée par l’élection du premier Président de la République issu des élites civiles de l’Etat, et sans le fameux label de la «légitimité révolutionnaire» ayant servi d’alibi à la reconduction du système. Abdelmajid Tebboune a promis de tendre la main au Hirak et de répondre à leurs revendications en matière de changement.
L’année 2020 apportera peut-être des réponses à certaines inquiétudes et interrogations sur la nature et les fondements du projet politique et social aujourd’hui mis sur la table par les nouveaux gouvernants.
Chronologie des événements
05 Janvier : L’année commence dans une lourde atmosphère de contestations sociales dans différents secteurs d’activité, notamment dans l’enseignement. Aux grèves, s’ajoutent les colères des exclus du relogement et des familles en attente de recasement.
21 janvier : Grève du secteur de l’éducation. En dépit des rencontres qui ont eu lieu, entre les syndicats du secteur de l’éducation et des responsables du ministère, l’intersyndicale de l’éducation annonce le maintien de son mouvement de grève prévu le 21 janvier. .
15 Février: Le corps électoral est convoqué aux élections présidentielles du 18 avril: par Bouteflika dans les délais impartis par la loi électorale. Il ne tardera pas à annoncer sa candidature à un cinquième mandat. Dans un message à la Nation Bouteflika fera acte de sa candidature à la présidentielle. L’ex-premier ministre Abdelmalek Sellal est désigné officiellement directeur de campagne avant d’être remplacé par l’ex-ministre des travaux publics Abdelghani Zaalane. Dans un communiqué,
22 février, Des dizaines de milliers de citoyens défilent dans la plupart des grandes villes du pays pour s’opposer à un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, exiger le départ de tous les symboles du régime et dénoncer la corruption qui s’est propagée au point de menacer la sécurité même du pays.
26 Mars : Gaïd Salah appelle à l’application de l’article 102. Le vice-ministre de la Défense et chef d’état-major de l’ANP le général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah a appelé à l’application de l’article 102 pour résoudre, constitutionnellement, la crise actuelle, née de la volonté du président de poursuivre son 4ème mandat, rejeté par les Algériens.
2 Avril: Bouteflika démissionne. Le président Bouteflika, a notifié officiellement au président du Conseil constitutionnel, sa décision de mettre fin à son mandat en qualité de président de la République. Selon ce que prévoit la Constitution, c’est le président du sénat, Abdelkader Bensalah, qui assumera la présidence de la République. Après plusieurs vendredis consécutifs de manifestations au cours desquelles les citoyens expriment leur ferme opposition à un 5ème mandat ou à un prolongement du 4ème mandat devant expirer le 28 avril. Le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), avait alors assuré que l’armée accompagnera le peuple durant la période destinée à la préparation de l’élection présidentielle, estimant que cette option est la moins coûteuse et la moins risquée pour le pays.
4 Avril – Des Enquêtes sur des faits de corruption et transfert de capitaux sont annoncées. Tout en confirmant l’interdiction «conservatoire» de sortie du territoire national de certaines personnes, la justice a décidé de «mener des enquêtes préliminaires pour des faits de corruption et de transfert illicite de capitaux vers l’étranger». Le procureur de la République près du Tribunal de Cheraga a publié lui une liste de plusieurs noms de personnes interdites de sortie du pays. Il s’agit des Tahkout Nacer, Mahieddine, Bilal et Rachid, des Haddad Amr et Ali, des Kouninef Abdelkader-Krim, Redha et Nouah-Tarek, et de Ould Boucif Mohamed, Boudina Brahim et Baïri Mohamed
18 Avril – L’élection présidentielle n’aura pas lieu et la situation politique et sociale qui prévaut ne permettra pas la tenue de cette consultation ni celle qui sera ensuite programmée pour le 4 juillet, en raison de l’absence de candidats, aucun dossier n’ayant été validé par le Conseil constitutionnel.
3 Juillet – Le chef de l’Etat par intérim, Abdelkader Bensalah, annonce le lancement d’un dialogue devant «nécessairement», affirme-t-il, se concentrer sur «l’unique objectif stratégique» que constitue l’organisation d’une élection présidentielle. Il exprime sa «conviction profonde» que seul un président de la République élu aura toute la légitimité nécessaire et toutes les prérogatives requises pour entreprendre les réformes profondes dont le pays a «crucialement» besoin. Un véritable «tsunami anticorruption» se poursuit contre ce qui est appelé par le Chef d’état major de l’armée la « issaba », la bande, comprenant notamment les anciens hauts responsables civils et militaires, dont Toufik Mediène et Saïd Bouteflika, frère et ancien conseiller d’Abdelaziz Bouteflika. Plusieurs d’entre eux ont été placés en détention.
25 juillet – Une instance nationale pour la médiation et le dialogue, dont la coordination des travaux est confiée à M. Karim Younes, ancien président de l’Assemblée populaire nationale (APN), est mise en place avec pour principale mission de contribuer à réunir les conditions nécessaires à l’organisation d’un prochain scrutin présidentiel.
15 Septembre – A l’issue de ce dialogue, le chef de l’Etat par intérim procède à la convocation du corps électoral pour l’élection du président de la République, dont la date est fixée au 12 décembre. Cette convocation est intervenue après l’adoption par les deux chambres du Parlement de deux projets de loi devant encadrer le processus électoral. Le premier est un projet de loi organique relatif à la création d’une Autorité indépendante permanente, prévoyant le transfert de «toutes les prérogatives» des autorités administratives en matière électorale à cette nouvelle Autorité. Le deuxième projet porte sur l’amendement partiel de la loi organique relative au régime électoral.
16 septembre – La loi établissant l’Autorité nationale indépendante est promulguée dans le Journal officiel, après examen par le Conseil constitutionnel. Mohamed Charfi a été désigné pour la présider.
Cinq candidats prennent part à l’élection présidentielle. Il s’agit de l’ancien chef de gouvernement et président du parti Talaie el Hourriyet, Ali Benflis, l’ancien Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, qui s’est présenté en qualité de candidat indépendant, l’ancien ministre de la Culture et actuel secrétaire général par intérim du Rassemblement national démocratique (RND), Azzedine Mihoubi, l’ancien ministre de Tourisme et président du Mouvement el-Bina, Abdelkader Bengrina, et le président du parti Front Al-Moustakbel, Abdelaziz Belaid.
4 Décembre – Une première dans les annales de la justice algérienne; le procès sur le dossier dit des «malversations dans l’industrie automobile» s’ouvre au tribunal de Sidi Mhamed à Alger. A la barre des accusés, les deux ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, mais aussi quatre anciens ministres, dont trois ayant été à la tête du département de l’Industrie, Mehdjoub Bedda, Youcef Yousfi et Abdessalem Bouchouareb qui est en fuite, en plus de l’ancien ministre des Transports, Abdelghani Zaâlane, l’ancienne wali de Tipaza, Mounia Zerhouni ainsi que quatre célèbres hommes d’affaires : Ali Haddad, ancien président du FCE, Hassane Larbaoui, patron de KIA Motors Algérie, Ahmed Mazouz, patron du groupe Mazouz et Mohamed Bairi, PDG du groupe Ival.
12 Décembre – M. Abdelmadjid Tebboune, qui a exprimé, alors qu’il était Premier ministre, sa détermination à lutter contre la corruption, est élu président de la République par 58,13% des suffrages exprimés. Dans sa première prise de parole post-élection, M. Tebboune affirme «tendre la main» au Hirak, rappelant l’avoir à maintes reprises qualifié de mouvement «béni» pour le changement et le progrès social de l’Algérie. Le nouveau chef de l’Etat appelle à un «dialogue sérieux au service de l’Algérie et seulement l’Algérie» pour construire la «Nouvelle République», tout en s’engageant à opérer une «profonde réforme» de la Constitution devant être validée par un référendum populaire.
19 Décembre – Prestation de serment et premier discours à la Nation de M. Abdelmadjid Tebboune, le nouveau Président de la République qui rappellera son programme et ses engagements. Dans son programme électoral, intitulé «54 engagements pour une Nouvelle République», M. Tebboune prévoit, concernant la Constitution, d’initier une révision, dont les principaux contours porteront sur la limitation du renouvellement du mandat présidentiel à une seule fois, la réduction des prérogatives du Président pour prévenir les dérives autocratiques, la séparation et l’équilibre des pouvoirs et la consécration de la protection des droits de l’Homme, des libertés individuels, collectives, de la presse et de manifestation.
23 Décembre – Le général de corps d’armée, vice-ministre de la Défense, chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), Ahmed Gaïd Salah, est décédé suite d’une crise cardiaque après avoir accompagné et sécurisé le Hirak pendant 10 longs mois. Le président Tebboune nomme le général major Chengriha Chef d’état-major de l’ANP par intérim.
28 Décembre– Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, nomme Abdelaziz Djerad, Premier ministre et le charge de former le gouvernement.