À l’occasion de la commémoration du 75e anniversaire des événements tragiques du 8 mai 1945, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, décrète le 8 mai de chaque année «Journée nationale de la Mémoire».
Dans un message adressé à la nation, le président a ordonné aussi le lancement d’une chaîne de télévision nationale spécialisée en Histoire qui « constituera un support pour le système éducatif dans l’enseignement de cette matière que nous voulons maintenir vivace pour toutes les générations ».
Il a aussi annoncé avoir instruit de «parachever l’appellation des agglomérations et quartiers des villes des noms des martyrs de la résistance populaire et de la glorieuse Guerre de libération et d’élargir la restauration des monuments historiques».
«Notre Histoire demeurera toujours au premier plan des préoccupations de l’Algérie nouvelle et de sa jeunesse, une Histoire que nous ne saurions, en aucun cas, omettre dans nos relations étrangères », peut-on lire dans le message du président.
Dans ce cadre, il a adressé un appel aux historiens « à procéder aujourd’hui à l’élucidation de chaque recoin de cette étape et de toutes les autres ancrées dans la mémoire de la nation». Il a également invité à élucider avec un haut sens de crédibilité dans le récit afin de rendre justice aux générations montantes dans le droit à la connaissance des détails du passé.
A propos des événements du 8 mai 1945, M. Tebboune a affirmé que ces massacres ont mis à nu définitivement le véritable visage de la colonisation française.
Il a ajouté que la répression sanglante et sauvage de la colonisation abjecte demeurera une marque d’infamie collée au front du colonisateur qui a commis, 132 années durant, des crimes imprescriptibles à l’encontre de notre peuple malgré les multiples tentatives de les effacer».
«Ce sont là des crimes commis contre l’humanité et contre les valeurs civilisationnelles, car fondés sur l’épuration ethnique ayant pour objectif de remplacer les populations autochtones par l’apport de populations étrangères», ajoute-t-il.
De son côté, le ministre des Moudjahidine et des Ayants-droit, Tayeb Zitouni, a indiqué, jeudi dernier, à Alger que le message des chouhada imposait au peuple algérien de resserrer ses rangs pour construire l’avenir. Dans une allocution au Musée du moudjahid, lors d’une conférence organisée à l’occasion du 75e anniversaire des massacres du 8 mai 1945, M. Zitouni a précisé que «le message sacré légué par nos chouhada qui ont versé leur sang pour la libération, nous impose de resserrer nos rangs pour construire l’avenir» qui passe, a-t-il dit, par «l’attachement aux idéaux qui ont présidé à la lutte de nos aïeux au fil des ans».
«La valorisation de notre legs historique et sa transmission aux générations futures permettent d’immuniser notre nation et de renforcer les liens avec la patrie en s’inspirant des gloires de son passé pour mener à bien l’édification d’une nouvelle Algérie forte», a affirmé le ministre. «Le peuple algérien restera redevable à ces héros et à tous les martyrs qui ont ouvert la voie de la libération, des révoltes populaires jusqu’à la Révolution du 1er Novembre», a ajouté M. Zitouni.
Pour le ministre, «les massacres du 8 mai 1945 ont marqué un tournant dans l’histoire de la lutte du peuple algérien pour s’affranchir du joug colonial», rappelant qu’«aucun autre peuple n’a subi de tels crimes qui continueront à déshonorer leurs auteurs pour toujours». Pour sa part, le ministre des Affaires religieuses et des wakfs, Youcef Belmehdi, qui a pris part à cette rencontre, a souligné que la fidélité du peuple algérien aux sacrifices des chouhada et à ceux qui ont sacrifié leurs vies pour leur patrie constitue «un message à tous ceux qui veulent du mal à l’Algérie et à tous ceux qui croient que l’Algérie cessera d’exister avec la disparition de la famille révolutionnaire».
Des crimes contre l’humanité non reconnus 75 ans après
L’Algérie a commémoré, hier, les massacres du 8 mai 1945, des crimes contre l’humanité qui demeurent à jamais une tâche indélébile dans l’histoire de la France coloniale, forgeant chez les Algériens la conscience et la conviction que seule la lutte armée pouvait leur permettre de se libérer du joug colonial, arracher leur indépendance et leur dignité et sortir du statut avilissant d’«indigènes». La commémoration du 75ème anniversaire de ces massacres —imprescriptibles au regard du droit international— intervient alors que la question de la reconnaissance de ces crimes par la France, hormis quelques déclarations isolées, reste pendante et entière. Le 8 mai 1945, et alors que les Français célébraient la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie marquant la fin de la seconde guerre mondiale, des dizaines de milliers d’Algériens sont sortis dans les rues de Sétif, Guelma, Kherrata et dans d’autres villes pour revendiquer pacifiquement l’indépendance de l’Algérie, ainsi que l’avait promis la France s’ils la soutenaient dans son combat contre le nazisme.
La réponse du gouvernement français d’alors fut sanglante, d’une brutalité inouïe: 45.000 Algériens furent massacrés. Durant plusieurs semaines, les forces coloniales et leurs milices pratiquèrent des tueries de masse, n’épargnant ni enfants, ni femmes, ni personnes âgées. Des personnes désarmées abattues à bout portant, d’autres transportées dans des camions pour être précipitées dans des ravins, ou emmenées en dehors des villes et exécutées, avant que leurs corps ne soient brûlés, puis ensevelis dans des fosses communes. Des fours à chaux étaient également utilisés par l’armée française pour se débarrasser des cadavres des victimes.
Il est à signaler par ailleurs que plusieurs historiens ont commenté les événements tragiques du 8 mai 1945 à l’occasion du 75e anniversaire.
Ainsi, le chercheur en histoire, Hassan Remaoun a déclaré, hier, à l’agence APS qu’un «grand travail de mémoire» a été mené en Algérie et ailleurs depuis 1962 au sujet des massacres du 8 mai 1945. Il s’est félicité des recherches effectuées sur ces massacres, citant plus particulièrement le travail réalisé par des historiographes nationaux comme Mahfoud Kaddache, Mohamed Harbi, Redouane Ainad Tabet et Boucif Mekhaled. A ceux-là, s’ajoutent «les récentes contributions de chercheurs comme Amar Mohand Amer (CRASC) ou encore de Kamel Benaïche, journaliste ayant consacré en 2016 un ouvrage aux événements en question», a-t-il dit. Le chercheur considère que les tragiques massacres du 8 mai 1945 sont «un moment très douloureux de notre passé et un lourd tribut payé par les Algériens pour se libérer de la domination coloniale française. Un sacrifice qui impose de nous incliner devant la mémoire de ceux qui, durant plus d’un siècle, ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour que notre pays accède à la souveraineté nationale».
Il a cité, par la même occasion, l’historien Redouane Ainad Tabet qui avait «toutes les raisons du monde pour écrire que le 8 mai 1945 avait constitué une sorte de « répétition générale » du 1er novembre 1954″.
De son côté, l’historien Mohammed Ould si Kaddour El-Korso, a indiqué que les massacres du 8 mai 1945 constituent «l’axe central» de la question mémorielle liant l’Algérie à la France coloniale en qualifiant ces évènements de «véritable génocide inachevé».
Il a affirmé que les relations apaisées entre l’Algérie et la France doivent se libérer du carcan du passé de l’ancienne puissance coloniale d’une part, et les lobbys racistes et colonialistes dont les cibles restent inchangées depuis 1830, d’autre part», avant de qualifier les événements en question de «véritable génocide» et de relever que cette date demeure «un moment fondateur de l’histoire de l’Algérie indépendante». Des exactions qui, souligne-t-il, n’ont été que «la répétition» de ce que sera le 1er novembre 1954, considérant que la Glorieuse Révolution algérienne «puise son essence même, dans ce haut lieu de l’Histoire, que la Cinquième République Française et ses héritiers ont cherché à entacher en promulguant le 23 février 2005» une loi «revancharde», à ses yeux, car «portant glorification de l’œuvre coloniale en Algérie, en Afrique du Nord et dans les colonies françaises».
Appel à la création d’institutions de recherches sur les crimes du colonialisme
Par ailleurs, les participants à une conférence historique nationale organisée jeudi dernier à Sétif ont appelé à la création d’institutions de recherches sur les crimes perpétrés par le colonialisme contre le peuple algérien.
Pr. Soufiane Loucif de l’université de Sétif-2 a relevé que des centres de recherches sur l’histoire de l’Algérie existent mais aucun n’est spécialisé dans les recherches sur les crimes du colonialisme. Il a également estimé que les écrits sur les massacres du 8 mai 1945 restent insuffisants’’ malgré leur importance dans l’évolution du mouvement nationaliste et le fait de constituer un prélude à la révolution de novembre.
Le conférencier a mis l’accent sur les efforts des historiens et centres de recherche pour éclairer cet épisode de l’histoire contemporaine de l’Algérie estimant “l”existence d’archives, de documents et de journaux coloniaux offre aux chercheurs des outils pour écrire sur ces massacres horribles et ce génocide’’.
Il a également appelé à ouvrir les archives nationales aux chercheurs pour leur permettre de documenter et mettre en lumière ces pages importantes de l’histoire de l’Algérie’’.
Il est à signaler par ailleurs que Kerrata (Béjaïa), cette ville martyr, n’arrive toujours pas à panser ses blessures, ni à exorciser les meurtrissures de ses mémoires. Et pour cause, le mal a été trop profond et ses plaies résonnent encore comme de cinglants coups de fouet dans les têtes, convoquant à chaque fois d’insupportables douleurs. «C’était l’horreur absolue», se remémore encore, du haut de ses 87 ans, le moudjahid Said Allik, témoin malgré lui, de la mort de cinq membres de sa famille, dont le père, la mère, deux frères et une sœur (Yamina), âgée à peine de quatre mois, tous exécutés à bout portant. Lui, retranché derrière un rocher, non loin de la demeure parentale a eu la vie sauve mais il s’en est sorti avec un traumatisme marqué au fer rouge et qui le poursuit à ce jour. Il n’en avait que 12 ans alors. Said n’était pas le seul cas à avoir subi l’enfer des représailles coloniales, en ce jour funeste du 09 mai 1945, survenues, le lendemain des massacres perpétrés à Sétif, situés à 60 km au sud est plus loin. Des milliers de personnes en ont payés le prix et enduré dans leur chair la stratégie du pire, mise en œuvre alors. «Même les animaux, les chèvres, les chiens, et les ânes n’ont pas été épargnés», se souvient-il avec déploration, frétillant d’émotion et peinant à comprendre le pourquoi de tant de violences voire de sauvagerie.
Synthèse Samir Hamiche