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Cri d’alarme du Pr Boubekeur Mohamed, chef de service à l’EHU « 1er Novembre » :
« Ce qui arrive au Brésil ou ailleurs, peut arriver en Algérie »

Dans un entretien accordé en exclusivité à «Ouest Tribune», le Pr Boubekeur Mohamed, chef de service à l’EHU 1er Novembre, lance un incontestable cri d’alarme sur les conséquences d’une troisième vague de la pandémie si elle venait à se produire en Algérie, notamment suite à la détection de cas de variants du covid 19. Ecoutons-le:

Ouest Tribune : Votre commentaire sur la déclaration dernière du Pr Mahiaoui du conseil scientifique, relative à l’apparition de la nouvelle souche du covid 19
Pr Boubekeur : D’abord, tout le monde ne parle pas le même langage et pratique un discours qui n’est pas homogène. Les politiques, les médecins, les spécialistes, ainsi que toutes les personnes qui composent le conseil scientifique, veulent intervenir sur les médias ; mais en réalité où est la vérité ? Ils font des discours qui semblent rassurants, et c’est une grossière erreur. En voyant ce qui se passe ailleurs, ils se disent attention, il peut y avoir une troisième vague en Algérie ; entre-temps, l’Afrique entière est épargnée par rapport à ce qui se passe ailleurs. Aujourd’hui, nous avons plus de 130 millions de cas de contamination et plus de trois millions de morts à travers le monde ; en France, en Italie, ils ont franchi les 100.000 morts, en Allemagne plus de 80.000 morts ; vous allez vers l’Asie, c’est une catastrophe, en Inde, ils sont arrivés à plus de 273.000 cas/jour. Au brésil, ils sont arrivés à 3 et 4000 morts/j. Chez nous, en Algérie, les choses allaient bien, elles commençaient à se stabiliser, nous n’avions aucun souci, mais aujourd’hui, les hôpitaux commencent à se remplir. Si je reste sur Oran, à l’hôpital « Nedjma » qui relève de l’EHU, nous enregistrons plus de 70 cas/j, tous les malades sont hospitalisés. Aujourd’hui, le virus circule en Algérie, nous avons des variants, le variant britannique avec plus de 70 de cas et le variant nigérian, avec 129 cas. Mais le problème, c’est que le séquençage se fait uniquement à l’Institut Pasteur d’Alger, par conséquent nous ne pouvons recenser exactement le nombre de malades. De plus, les gens qui sont formés, sont très peu nombreux, et c’est une super-spécialité qui coûte très cher. Donc faire le séquençage et dire que nous avons tant de variants en Algérie, c’est quasiment impossible. Peut-être même que le variant sud-africain est déjà entré et on ne le sait pas. Certains variants sont meurtriers, d’autres contagieux ou d’autres encore, super contagieux et létaux.
Donc, d’un coté nous avons une reprise de l’épidémie en Algérie, d’ailleurs vous constatez que les chiffres sont en dents de scie, 153, 163, 181, etc ; nous somme en dessous de 200, certes, mais on y va. A l’hôpital Nedjma, sur 240 lits, nous avons plus de 70 cas et tous les malades sont sous oxygène, et en plus de cela, il y a un rajeunissement des cas de malades atteints par les variants, vous avez des jeunes de moins de 30 ans, de plus il y eut 03 ou 04 décès ; donc les choses reprennent. Parmi les variants cités, il est apparu un autre variant très méchant, un double mutant, un variant d’Inde, qui fait des catastrophes dans ce pays, on ne trouve plus d’oxygène, les ambulances en difficultés, les hôpitaux sont dépassés. Ce virus touche les plus jeunes, de moins de 45 ans.
Ouest Tribune : Un relâchement général est-il à déplorer ? Y a- t-il échec quelque part ?
Pr Boubekeur :Aujourd’hui, le discours à pratiquer, c’est de dire, que la population reste indisciplinée, mais plus encore, elle n’est pas du tout vigilante, il y a une inconscience terrible à travers le territoire national. Dans les marchés, les transports, les mosquées, c’est une catastrophe. Il y a un relâchement effrayant, non seulement de la part de la population mais également de la part des responsables et des pouvoirs publics. Les gens ne croient plus au virus, ils n’ont plus peur. Pour les quelques rares personnes qui portent le masque, les mesures d’hygiène ne sont pas respectées, celui-ci est mis sous le menton ou dans la poche, souvent sale et usé. Ce relâchement, en matière de prévention, est également visible dans les hôpitaux, parmi le personnel médical et paramédical. C’est vrai, le personnel est fatigué, mais n’est pas plus fatigué que ceux qui sont entrain de souffrir en Europe ou ailleurs. Les gens ont l’impression qu’il y a une bénédiction sur l’Afrique parce que nous avons moins de cas qu’ailleurs, alors que nous sommes au bord du gouffre ; il se peut qu’il y ait une troisième vague par les variants, mais celle-ci sera super forte. C’est un cri de détresse que je lance. Et si jamais les variants brésilien et sud-africain arrivent ici, ça va être la catastrophe. Nous n’avons pas les moyens qu’ont les Européens. C’est vrai que cette maladie nous a appris beaucoup de choses, à faire des masques, à traiter, mais aujourd’hui, on est dépendants de l’étranger pour la PCR. Est-ce qu’on est arrivé aujourd’hui, comme l’a promis l’industrie pharmaceutique à faire des essais ? Aussi, on se dit qu’on va produire des vaccins, ce serait extraordinaire, mais avant de dire je vais prendre le vaccin de l’importation, faudra se dire, je dois protéger la population, c’est ça le plus important. Maintenant nous n’arrivons pas à avoir les doses nécessaires pour vacciner toute la population. Le dispositif Covax ne fonctionne pas, nous avons les vaccins sputnik, Astrazeneca. Aujourd’hui, sur la plate forme du ministère de la Santé, vous avez 50.000 inscrits et 25.000 vaccinés, c’est insuffisant. C’est vrai qu’à travers le monde, le vaccin est rare. En fait, notre échec, n’est pas dû à un manque de volonté, mais parce que nous sommes dépendants de l’étranger, que ce soit pour les tests, les vaccins, pour les combinaisons, et même pour les produits. Cette maladie nous a appris beaucoup de choses, mais pour l’essentiel, c’est-à-dire, les drogues, l’hydrox chloroquine, il faut ramener les réactifs de l’Inde ; notre faute, c’est que nous n’avons rien fait sur le plan de la recherche, on a formé des gens et on les a fait fuir. Aujourd’hui, le seul moyen avec lequel vous pouvez négocier, c’est l’argent, les laboratoires sont des lobbies, vous mettez de l’argent, vous êtes servis, vous passerez même avant les autres. Sauf que certains vaccins sont décriés et posent problème, vous en avez plus d’une dizaine, le pfizer, le moderna, le Johnson et Johnson et Jensen, américains ; l’astrazeneca a été stoppé, le Jensen, pour cause d’effets secondaires, tels des caillots et des thromboses.
Ouest Tribune : Au regard de ces arguments que vous développez, il devient clair que notre dépendance de l’étranger, limite nos moyens d’action. Quelle est alors l’alternative ?
Pr Boubekeur :Je tiens à le rappeler, notre échec ce n’est pas tellement la dépendance, mais il vient de la population, car le meilleur moyen de lutte contre la pandémie, c’est la prophylaxie, les gestes barrière, à savoir le masque et la distanciation, pour limiter la transmission du virus. Revenons maintenant à ceux qui ont porté le covid. Ils ont une immunité de 03, 06 mois, on ne peut pas le savoir, mais on a vu des cas de rechute, deux ou trois fois même ; le vaccin protège à 90, 95%, ça dépend des vaccins. Mais simplement l’immunité va durer combien de temps ? On ne le sait pas ; ensuite, entre les différents vaccins, il y a le vaccin fait par un virus atténué et le vaccin par « Arn messager », il y a par exemple le pfizer et le Bion Tech ou le Moderna ; mais si les vaccins aujourd’hui ont plus d’efficacité, ce qui est prouvé, auront-ils plus d’efficacité sur les différents variants qui sont entrain de venir? Sur le variant du Brésil ou de l’Inde ? On ne le sait pas. Parce qu’on a vacciné des personnes au Brésil, au Chili, et elles ont refait un Covid après la vaccination.
Ouest Tribune : On doit donc apprendre à vivre avec le virus et probablement avec le confinement …
Pr Boubekeur : Avant de conclure, on doit dire aujourd’hui que pour éradiquer le virus, et on ne l’éradiquera jamais, parce qu’il va continuer à circuler comme le virus de la grippe, mais plutôt le ralentir et aller réellement dans une démarche qui voudrait que la vie redevienne comme avant, il faudrait non seulement insister sur les gestes barrière qui demeureront éternels, d’une part et de l’autre, insister sur la vaccinothérapie pour toute la population. Et ce qui serait intéressant, c’est de faire un testing, c’est-à-dire tester au maximum, faire des séquençages et avancer avec la vaccination et les gestes barrière. La population doit être alertée, mais il faut qu’elle soit consciencieuse et obéissante. Si on revient maintenant à la question du confinement, certains pays y sont revenus, la Tunisie, à titre d’exemple. C’est vrai que le confinement isole et disperse la population, mais est ce réellement efficace ? Psychologiquement, les gens sont atteints, certains sont arrivés au divorce ; en plus ce virus, empêche les gens d’aller travailler ; combien de cancéreux et de malades n’ont pu être opérés car les salles de réanimation et des soins intensifs sont occupées et saturées. Il y a également le volet de l’éducation. Les enseignants font preuve d’un relâchement périlleux, les élèves et les étudiants pareils, les gestes barrières dans ces établissements ne sont plus respectés, ni de mise d’ailleurs. Un surveillant qui demande à une lycéenne, seule à porter un masque, de l’enlever sous prétexte qu’il n’y a plus de virus, est tout bonnement dramatique et révélateur de l’état d’esprit général de la population face au virus.
Ouest Tribune :C’est un cri d’alarme que vous lancez…
Pr Boubekeur :A partir du moment où nous sommes sur terre, donc vulnérables au virus, ce qui se passe au Brésil avec 3 à 4000 morts par jour, peut se passer en Algérie ; sauf que si ce virus arrive en Algérie, on va éradiquer les Algériens au bout d’un mois. Le virus se propage à une vitesse rapide avec une portée de 02 à 08 mètres. Et c’est comme ça qu’il y a une contamination exponentielle. Il faudrait dire à ces personnes que le jour où l’un de vos proches serait emporté par la maladie, à ce moment là, vous comprendrez.
Ceci pour dire qu’il faudrait qu’on puisse lutter contre cette venue de variants qui sont très dangereux, des doubles mutants du Brésil, de l’Inde ; il ne faut pas oublier que nous avons 07 frontières terrestres, qui ne sont pas totalement hermétiques, c’est dramatique. Les pays qui ont ouvert leurs frontières, à l’exemple de la France, imposent une quarantaine de 10 jours aux passagers en provenance du Brésil, l’Argentine et le Chili. Nous, cela fait plus d’une année que les nôtres sont fermées, nous avons de gros problèmes économiques, mais nous aussi, on doit appliquer une politique réciproque, de la PCR, de la quarantaine, etc. Car on ne peut pas les garder éternellement fermées. C’est impossible.
Entretien réalisé par Karim.B

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