Les noms qui apparaissent dans le fichier sont essentiellement des membres de la société civile : journalistes, activistes, hommes d’affaires et avocats dans une cinquantaine de pays. Mais, il y a aussi des chefs d’Etat, ministres, diplomates ou des hauts responsables du renseignement.
Au fil des révélations et des réactions des victimes du scandale d’espionnage, le royaume marocain, qui a déjà maille à faire sur le front interne, se voit la cible d’un processus judiciaire international qui ne manquera pas de l’isoler complètement. Les enquêtes très sérieuses lancées à Alger et Paris sur le programme d’espionnage israélien «Pegasus», seulement deux jours après des révélations sur l’infection de téléphones de hauts responsables des deux pays par Pegasus annoncent des répercussions certaines sur les rapports du Maroc avec ses principaux partenaires, mais également avec les organisations internationales, dont les pays membres dénoncent avec une grande fermeté l’attitude criminelle d’un Etat qui se prétend membre de l’ONU, de l’UA, de l’OCI et de la Ligue arabe. Rabat aura à répondre de son comportement de voyou devant toutes ces institutions internationales, mais également devant l’UE qui a vu l’un de ses principaux membres scandaleusement espionné par le Makhzen et Israël. L’UE n’en est certainement pas à une simple réprimande. Et pour cause, l’Espagne et l’Allemagne qui sont entrés en conflit politique ouvert avec le régime de Mohamed VI s’attendent à figurer sur la liste des pays espionnés. A ce propos, justement, l’enquête journalistique lancée avec le soutien assumé d’Amnesty international, soulèvera à n’en pas douter d’autres lièvres et il circule déjà dans de nombreuses rédactions européennes des noms de personnalité espagnoles et allemandes. De plus, assurent des sources bien au fait de l’affaire, les investigations révèleront prochainement de nombreux faits liés au scandale et qui remontent directement au Palais royale marocain. On évoque même une probabilité de procédure européenne à l’encontre de Rabat.
Il n’y a eu aucune déclaration sur le sujet dans l’actualité d’hier, mais les mêmes sources affirment que c’est le calme qui précède une énorme tempête politico-diplomatique qui frappera le Makhzen marocain et mettre Israël devant une situation inédite vis-à-vis de ses alliés occidentaux. Les 17 médias internationaux qui ont fait éclater le scandale seront aussi aux premières loges pour suivre l’évolution du dossier et il n’est pas interdit de penser que la réaction des Etats puisse aboutir sur du concret. D’autant plus que le programme d’espionnage israélien « Pegasus » se trouve être largement répandu dans le monde et sert des intérêts étroits de certains chefs d’Etat peu scrupuleux.
Il faut savoir, à propos de ce scandale, que l’enquête a révélé l’implication de 10 gouvernements au moins. Ces derniers ont acheté le programme Pegasus conçu et développé par une entreprise israélienne. Il s’agit un logiciel malveillant qui permet d’accéder à tout le contenu d’un smartphone à l’insu de son propriétaire : photos, vidéos, SMS, mails, carnets d’adresse, conversations via des messageries chiffrées, navigation Web, ou encore géolocalisation. Il est même capable de déclencher le micro et la caméra de l’appareil à distance. Son éditeur NSO ne le commercialise qu’auprès de clients gouvernementaux. C’est un outil d’espionnage dont plusieurs cas d’abus avaient déjà été documentés ces dernières années. Il a été mis en cause dès 2016 par le CitizenLab.
Les victimes de ce logiciel sont généralement triées sur le volet. Les noms qui apparaissent dans le fichier sont essentiellement des membres de la société civile : journalistes, activistes, hommes d’affaires et avocats dans une cinquantaine de pays. Mais, il y a aussi des chefs d’Etat, ministres, diplomates ou des hauts responsables du renseignement. La France et l’Algérie sont particulièrement touchées. Plusieurs milliers de personnes, dont des responsables politiques, de ces deux pays, sont ciblées. Jusqu’à maintenant, l’enquête a permis de certifier avec certitude l’infection 37 des appareils. Claude Mangin, épouse d’un opposant emprisonné au Maroc, ou encore Hatice Cengiz, fiancée du Saoudien Jamal Khashoggi, assassiné, font partie des victimes. On aura compris que le logiciel Pegasus ne collecte pas que des données sur des personnes soupçonnées de crime ou de terrorisme. En réalité, il a bien été utilisé à des fins d’espionnage politique et de répression intérieure.
Yahia Bourit