Dans un entretien accordé exclusivement à Ouest Tribune, le Pr Boubekeur Mohamed, chef de service à l’EHU d’Oran, n’est pas allé par quatre chemins pour décrier le relâchement des citoyens constaté au jour le jour et plus particulièrement lors de la fête de l’Aïd el fitr et le jour de la tenue des élections, face à la pandémie du Covid, lequel relâchement pourrait remettre en cause toute la stratégie sanitaire mise en place jusque là par l’Etat algérien.
L’urgence de la vaccination s’impose désormais inéluctablement pour l’immunisation collective de la population. Ecoutons-le :
Ouest Tribune : où en est-on actuellement en matière de situation épidémiologique ?
Pr Boubekeur Mohamed : actuellement, il y a une hausse notable des cas de contamination au Covid. Le virus circule toujours et il circule de façon importante ; Cette hausse est visible à travers tout le territoire national, avec pas moins de 400 cas par jour et entre 08 et 10 décès par jour. Donc il y a réactivation. A Oran, pas moins de 105 cas sont enregistrés uniquement au centre Covid « Nedjma », relevant de l’EHU d’Oran, dont 15 en réanimation. Ceci ne prête guère à l’optimisme face à cet accroissement subit des cas de contamination. Ceci est dû en grande partie aux rassemblements lors de l’Aïd El Fitr ainsi que lors de la campagne électorale. On n’entube plus, certes, on met des masques spéciaux de ventilation, mais la hausse est là.
Ouest Tribune : est ce dû à un relâchement chez la population ?
Pr Boubekeur Mohamed : c’est plus qu’un relâchement, je dirais carrément que c’est de la désobéissance totale vis-à-vis de l’épidémie de la part de la population qui ne croit pas à la maladie. Qui ne croit plus à la maladie. Pour les citoyens, il s’agit tout simplement d’une grippe. Plus aucun geste barrière n’est respecté ; ni port des masques, ni distanciation dans les moyens de locomotion, ni dans les transports, ni dans les marchés, ni dans les supermarchés, ni dans les administrations publiques, ni dans une grande partie des mosquées.
Il y a une incroyable répulsion des gestes barrières. L’insoumission citoyenne est totale sur tout le territoire national. Même les cas, on ne peut pas les déceler tout de suite, car il faut un séquençage. Or, le séquençage ne se fait qu’au niveau de l’Institut Pasteur et c’est très difficile parce qu’il faut à la base, toute une formation et des équipements spécialisés et évidemment, on ne peut pas faire cela en 15 jours.
Ouest Tribune : il y a donc urgence …faut-il vacciner au plus vite ? Des citoyens disent craindre les vaccins. Certains laissent courir le risque d’OGM. Où en est-on dans cet imbroglio ?
Pr Boubekeur Mohamed : tout ce que je sais, c’est que les variants nigérians, britanniques et indiens sont en hausse, un peu moins pour ce dernier avec un cas ou deux seulement. Le virus mute deux fois par an. En effet, il faut vacciner. J’insiste à dire que le seul moyen aujourd’hui de régler le problème de ce virus, devant cette insoumission citoyenne et le non-respect des gestes barrière, c’est la vaccination. La peur d’OGM n’est pas du tout justifiée. Il y a le vaccin qui est fait à partir de virus atténué, c’est l’ancien vaccin traditionnel qui est supposé entraîner une immunité mais simplement ça demande du temps, au moins 10 ans, pour le faire ; Il y a le vaccin ARN messager pour lequel on travaille depuis 20 ans. Ceux qui pensent que si l’on fait le vaccin ARN messager, on risque de devenir des OGM, c’est-à-dire que l’ARN messager va pénétrer la cellule et va entraîner une déstabilisation de l’ADN, ce qui va entraîner une multiplication anarchique des cellules qui va à son tour entraîner des cancers, est une idée totalement fausse et erronée. Ce n’est pas comme si on intervenait dans les céréales, où une transformation provoquerait des OGM. Pour mieux comprendre le processus, il faut savoir que dans la cellule humaine, il y a un noyau qui contient de l’ADN. L’ADN ne sort pas du coffre, mais elle envoie des photocopies de l’ARN messager au niveau des cellules pour pouvoir faire fonctionner le corps. La thyroïde les secrète. Alors l’ARN messager qui est fournie par le virus est atténuée, mais ne pénètre pas la cellule ; elle fait en sorte qu’elle produise une protéine spike qui reste sur la face de la cellule et est immédiatement détruite parce qu’elle est fragile. La protéine spike va entraîner un processus au niveau des immunoglobulines, c’est-à-dire l’immunité humaine, elle va permet de reconnaître le virus et de mettre en alerte son armée pour combattre le virus, donc elle ne pénètre pas.
La seule qui pénètre, c’est celle du VIH, parce qu’elle a une sorte de machine spéciale qui la fait véhiculer à l’intérieur du noyau ; mais l’ARN messager ne l’a pas. Dès qu’elle arrive, elle est immédiatement détruite. Elle transmet le messager à la surface de la cellule, donc il n’y a pas de risque de transformation génétique. Tous les gens qui interviennent en biologie moléculaire vous diront, non, il n’y a absolument aucun risque. Donc l’avantage qu’il y a entre le vaccin atténué à partir du virus et l’ARN messager c’est que le vaccin ARN messager non seulement il est rapide pour le fabriquer et il est plus efficace, de plus il permet de lutter contre le variant parce que dès qu’il y a un variant, on peut le remodeler de façon à ce qu’il puisse l’attaquer.
Ouest Tribune : certains milieux prétendent qu’une vaccination à hauteur de 50 % de la population rend possible une immunité collective et suffit à endiguer la pandémie…
Pr Boubekeur Mohamed : je réfute totalement cela, la seule possibilité d’avoir une immunité collective, il faut aller vers vaccination d’au moins 80% de la population, soit environ 30 millions de citoyens. Ne pas atteindre ce taux de population vaccinée, il est à craindre un retour à la situation épidémiologique première avec toutes les conséquences que cela induirait. Voilà aussi, pourquoi, il est important de mener une large campagne de sensibilisation citoyenne. Avec seulement 16.000 citoyens vaccinés, ont est très loin du compte, comparativement à d’autres pays, notamment la France que je cite à titre d’exemple, où pas moins de 500.000 jeunes sont vaccinés par jour. Il est plus qu’impératif de convaincre ceux qui refusent de se faire vacciner d’aller le faire, d’autant plus que des vaccinodromes et des polycliniques sont à la disposition des citoyens un peu partout.
D’ici la fin du mois de juillet, il est attendu 02 millions de doses de vaccins et il est désormais possible de se faire vacciner dans l’un des points de vaccination, sans s’inscrire sur le site. Il faut souligner que ce retard est dû à la réception des vaccins, bien que l’Etat ait payé son quota, mais aujourd’hui, il ne faut plus hésiter. En France, les chiffres sont en baisse, la vaccination des 12-17 ans sera bientôt lancée, ce qui prouve l’efficacité des vaccins. Avec 400 contaminations par jour chez nous, en Algérie, si ce n’est pas plus, il y a de quoi s’inquiéter.
Les personnes âgées sont les plus exposées, elles doivent donc se protéger. La peur véhiculée sur la nocivité des vaccins, n’a pas sa raison d’être. Les vaccins protègent contre les formes graves. Il est dit que les populations âgées de 75 ans et plus, celles de 65 à 74 ans et celles de 50 à 74 ans, sont vulnérables et ont la possibilité d’être contaminées avec des formes graves. Quelqu’un de vacciné peut-être recontaminé au Covid, mais il va l’avoir dans sa forme légère, cela ne pose aucun problème. D’ailleurs et jusqu’à preuve du contraire, très peu de gens ont été contaminés après le vaccin.
Ouest Tribune : quels sont les vaccins disponibles en Algérie ? Ont-ils tous prouvé leur efficacité ?
Pr Boubekeur Mohamed : il y a l’ «Astra Zeneca », le « Sputnik » et le « Sinovac ». Le vaccin Sputnik, a montré selon les dernières études, 90% d’efficacité. Le vaccin « Astra Zeneca », sans vouloir défendre ce vaccin, a également fait preuve d’une grande efficacité, malgré les critiques qu’on lui fait. A titre de comparaison, le vaccin « Pfizer » a fait plus de morts que l’ «Astra Zeneca». D’ailleurs l’OMS le reconnaît, contrairement à l’Union européenne. Vous savez, la guerre des laboratoires internationaux et des lobbies, crée la polémique et la confusion.
Ouest Tribune : avant de conclure, où en est-on à propos de la fabrication du vaccin « Sputnik » en Algérie ?
Pr Boubekeur Mohamed : J’ai eu l’occasion de parler sur le sujet lors de la dernière rencontre panafricaine, leur faisant savoir que l’Algérie fait énormément sur le plan sanitaire, quand bien même l’opération de vaccination est en retard en Algérie. Sauf qu’à partir du mois de septembre, non seulement, nous allons produire le vaccin « Sputnik » chez nous, mais en plus l’Algérie va contribuer à aider les pays africains pauvres à se sortir de ces épidémies.
Ouest Tribune : pour terminer, la réouverture des frontières est-elle un facteur à haut risque pour l’Algérie ? Faut-il les refermer ?
Pr Boubekeur Mohamed : en fait, j’ai exprimé mon point de vue sur cette question au membre du comité scientifique de la Santé , Ryad Mehyaoui, qui commençait à s’affoler face à la hausse des cas de contaminations, pour lui expliquer que la fermeture ou non des frontières ne relevait pas de sa compétence et qu’il fallait d’abord réfléchir scientifiquement au problème.
Comment priver des citoyens algériens qui ont été enfermés depuis plus d’une année de revoir leurs familles ou parents, dont certains sont décédés et dont ils veulent faire le deuil et leur interdire de rentrer au pays, alors que les frontières viennent juste de rouvrir.
Au lieu de décider de la fermeture, il suffit de respecter le protocole. L’Algérien qui rentre au pays, arrive avec une PCR négatif ; en cas de doute, il faut lui refaire une autre PCR ou un diagnostic rapide. En cas de positivité, là, il faut le mettre en confinement, soit chez lui, soit dans un hôtel. Personnellement, cette histoire de confinement me semble tout à fait inadéquate. Elle n’a aucun sens, c’est tout bonnement, une décision politique.
Karim.B