
Maroc : la perte de la confiance politique incite les jeunes Marocains à défier le Makhzen dans la rue
La rue marocaine s’est soulevée ces derniers jours, traduisant l’érosion profonde de la confiance politique parmi la jeunesse, longtemps marginalisée sur les plans social et politique, une désillusion qui a renforcé sa détermination à interpeller le Makhzen sur la légitimité de l’action politique et l’efficacité des institutions à répondre à ses besoins fondamentaux en matière de dignité et de justice sociale.
Dans un contexte de protestations croissantes et de perte de confiance grandissante des jeunes envers les institutions officielles du Makhzen, les récentes déclarations du ministre marocain de la Santé et de la Protection sociale, Amine Tahraoui, ont suscité la polémique au sein des acteurs du secteur.
Le ministre a en effet annoncé la suspension des subventions publiques d’investissement au profit du secteur privé de la santé, alors même que les rapports financiers et comptables révèlent l’absence totale de telles aides.
Autrement dit, le ministre a décidé de suspendre un soutien qui n’existait pas.
Ces déclarations interviennent dans un contexte social tendu, marqué par de vives critiques contre la dégradation des services de santé publique.
Par ailleurs, plusieurs investisseurs du secteur privé avaient, ces derniers mois, déposé des demandes de soutien dans le cadre de la Charte de l’investissement, auprès du Comité national marocain de l’investissement.
Cependant, aucune réponse ne leur a été communiquée, malgré la conformité de leurs dossiers à toutes les conditions et critères requis pour bénéficier de ces subventions.
Selon une étude scientifique publiée en octobre dans la revue allemande «SocioEconomic Challenges» par les chercheurs Mohamed Chraïmi et Mohamed Ben Issa, la confiance des Marocains envers le gouvernement du Makhzen et les institutions officielles connaît une chute vertigineuse.
L’étude, menée dans le cadre d’un projet de recherche sociologique sur la relation entre la jeunesse et les institutions politiques dans un contexte de mutations économiques et sociales, révèle que le niveau de confiance dans le gouvernement du Makhzen ne dépasse pas 16 %, contre 21 % pour le Parlement et seulement 15 % pour les partis politiques.
Ce déficit de confiance est dû, selon les auteurs, à la faible efficacité institutionnelle, au manque de transparence, à des promesses électorales non tenues et à la détérioration de la qualité des services publics, notamment dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’emploi.
Parallèlement à la montée de la contestation, la Coordination nationale des victimes du séisme d’Al-Haouz a annoncé sa décision de reprendre les manifestations, en réaction aux déclarations de la ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, Fatima-Zahra Mansouri.
La coordination estime que «les propos de la ministre sur l’écoute et le dialogue contredisent totalement l’attitude du gouvernement, qui ignore depuis deux ans les revendications des sinistrés».
Face à ce que la coordination qualifie de «réveil tardif de la ministre» et de tentative de «calmer la colère populaire», elle dénonce «la contradiction entre les appels à l’écoute et l’absence de réponses concrètes aux demandes des familles exclues».
Elle rappelle avoir organisé des dizaines de sit-in et adressé de multiples correspondances aux autorités durant deux ans, sans obtenir aucune réponse effective.
«Un véritable soulèvement social accumulé depuis des années»
Dans ce climat tendu, l’écrivain marocain Mohamed Braou a estimé, dans un article publié lundi sur plusieurs sites d’information, que «ce qui se passe n’est pas une simple explosion passagère de colère, ni une vague protestataire éphémère, mais l’expression d’un véritable soulèvement social accumulé depuis des années».
Il a souligné que derrière ces manifestations se cachent des crises structurelles profondes et que les citoyens, en particulier les jeunes, «ne réclament plus des améliorations ponctuelles, mais reposent les questions fondamentales : Qui gouverne? Comment? Et pour qui?».
Selon Braou, dans la perception de cette jeunesse, le gouvernement du Makhzen symbolise «l’apogée de la rupture entre le pouvoir et la rue», ajoutant qu’»une large partie de la jeunesse a brisé le silence, exprimant non seulement sa colère, mais aussi une vision alternative de la politique et de la dignité».
De son côté, l’écrivain marocain, Othmane Mkhoun, a affirmé, dans un article intitulé «Quand la liberté d’expression se rétrécit, les concepts se renversent», publié lundi, que «lorsque l’espace de liberté se rétrécit, ce n’est pas seulement la voix critique qui s’étouffe, mais la vérité elle-même».
Dans ces environnements «en crise», où «la presse indépendante recule et où dominent les pouvoirs de l’argent et de la politique», il observe que «la réalité est réorganisée au profit des puissants, au point que la victime paraît coupable et le dominant passe pour sauveur».
Mkhoun relève qu’au Maroc, au lieu de favoriser un débat public responsable sur les causes profondes de la crise, les grands médias -officiels et semi-officiels- préfèrent inviter des «experts» et des «analystes» pour réduire le mouvement protestataire des jeunes à un simple phénomène social ou psychologique, alors qu’il s’agit, dit-il, d’»un cri politique face à de profondes défaillances structurelles de l’Etat et de la société».