
Les anges gardiens du rail urbain : dans les coulisses de la brigade du tramway d’Oran
Dans la lumière dorée qui illumine la ville d’Oran à l’aube, les premières rames du tramway s’élancent silencieusement sur leurs rails.
Des étudiants, des employés d’administration et autres ensommeillés, sont pressés et quelques commerçants chargés de leurs paquets montent dans les voitures du tramway d’Oran. Pour beaucoup, le tramway est devenu un compagnon de route familier, presque une évidence dans la routine citadine. Pourtant, derrière la fluidité des déplacements et la modernité des infrastructures, se cache une vigilance permanente. Il s’agit de la brigade du tramway, une unité spécialisée de la Sûreté de wilaya d’Oran. Créée en même temps que le lancement du réseau, cette brigade est née d’un constat simple, la sécurité est le socle indispensable pour que les usagers adoptent un transport collectif moderne. Dans une ville où les transports en commun ont longtemps souffert d’une image associée au désordre et à l’insécurité, le tramway devait incarner la rupture. Et pour que cette promesse tienne, la présence policière était incontournable.
Une mission adaptée aux réalités
Contrairement à une patrouille classique, la brigade du tramway opère dans un espace restreint, mouvant, saturé d’interactions sociales. Ses membres doivent se déplacer entre stations, rames et quais, anticiper les mouvements de foule, décourager les incivilités, repérer les pickpockets. «Ici, on ne peut pas se contenter d’attendre l’appel d’un citoyen, il faut être au cœur de l’action», explique un inspecteur qui sillonne quotidiennement la ligne, ce dernier discret passe pratiquement inaperçu. Leurs missions sont multiples. Elles se traduisent par la sécurisation des flux, la protection des passagers vulnérables, le soutien des équipes de contrôle de la billetterie, mais aussi intervenant rapidement lors de tout incident. Certaines journées se résument à des rappels au calme ou à des aides discrètes. D’autres, plus agitées, demandent des arrestations en flagrant délit, notamment pour vols à la tire ou harcèlements.
Le quotidien d’une brigade discrète
À la station du centre-ville, un vendredi soir de cette journée estivale du mois d’août, l’affluence est maximale. Des familles reviennent de promenade, des jeunes chargés de sacs de courses se bousculent aux portes. Au milieu de la foule, deux agents en civil scrutent attentivement. Un geste suspect, une main trop proche d’un sac ouvert, et l’intervention est immédiate. La rapidité est leur atout. « La plupart des voleurs agissent en quelques secondes, nous devons être encore plus rapides », confie un brigadier. Leur présence est aussi dissuasive. Dès qu’un uniforme apparaît sur le quai, les comportements s’ajustent. Les bousculades diminuent, les attroupements se dispersent, et les voyageurs, d’un simple regard, comprennent qu’ils peuvent compter sur une surveillance bienveillante.
La brigade du tramway ne travaille pas en vase clos. Elle collabore avec les brigades de circulation pour fluidifier les abords des stations, avec la police de proximité pour maintenir le lien avec les riverains, et même avec les services de santé lors de situations particulières, comme les malaises dans les rames. Elle est également en contact permanent avec les agents de la société exploitante, chargés de la maintenance et du contrôle. Cette synergie dépasse parfois les frontières de la ville. Des échanges ont lieu avec d’autres wilayas disposant d’un tramway, comme Alger, Constantine ou Sidi Bel Abbés, afin de partager les bonnes pratiques et d’adapter les stratégies de sécurisation.
Une approche éducative
La sécurité ne repose pas uniquement sur la répression. La brigade mène régulièrement des campagnes de sensibilisation. Dans les stations, des affiches rappellent aux passagers de céder la place aux personnes âgées ou de ne pas bloquer les portes. Des agents prennent parfois la parole directement pour encourager les voyageurs à respecter les règles. Ces actions, modestes en apparence, portent leurs fruits. Elles réduisent les tensions entre usagers et contribuent à préserver les infrastructures, coûteuses à entretenir. «La sécurité, ce n’est pas seulement empêcher le vol, c’est aussi garantir que chacun se comporte correctement, de manière citoyenne», résume un officier.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le nombre d’incidents signalés dans le périmètre du tramway a chuté cette année. Plusieurs dizaines d’interpellations ont été effectuées pour divers délits, allant des vols aux comportements menaçants. Dans de nombreux cas, c’est la vigilance des passagers qui a facilité l’intervention. «Quand un citoyen alerte immédiatement les agents, nous gagnons un temps précieux», note un officier de police. Cette coopération est devenue un atout majeur étant donné qu’elle porte le sceau de l’implication directe du citoyen dans le maintien de l’ordre en se mettant pleinement en tant qu’acteur principal dans la citoyenneté. «Cette implication nous encourage et nous réchauffe le cœur», dira un policier en faction dans la station de la Place 1er Novembre 1954, ex Place d’Armes. Elle traduit une évolution culturelle ; loin d’être perçue comme une force distante, la police du tramway est vue comme une alliée du quotidien.
Les usagers ne tarissent pas d’éloges. Nadia, étudiante, raconte : «Avant, je demandais souvent à un ami de m’accompagner le soir. Maintenant, je prends le tramway seule sans crainte». Même aveux émanant de Mohamed, retraité. « La différence est flagrante avec les bus. On peut voyager tranquillement, et même discuter sereinement avec ses voisins de rame». Ces témoignages révèlent l’impact psychologique de la présence policière. Ce n’est pas seulement une protection contre le crime, c’est aussi une garantie de sérénité dans un espace collectif.
Oran, ville en expansion
La métropole oranaise change à grande vitesse, connaissant d’importantes mutations. L’arrivée de nouvelles infrastructures, l’essor démographique et l’activité portuaire renforcent la pression sur les transports. Dans ce contexte, le tramway apparaît comme une bouffée d’oxygène, capable d’absorber une partie du trafic routier saturé. Mais cette réussite serait fragile sans la sécurité qui l’accompagne. Les autorités locales l’ont compris. Elles projettent de renforcer la brigade avec des outils modernes, comme des caméras intelligentes, des liaisons directes avec les salles de contrôle, des équipements de communication plus performants. Parallèlement, la formation continue des agents s’intensifie, incluant des simulations de mouvements de foule, de gestion d’urgence médicale et même de cyber-vigilance pour prévenir les risques liés aux systèmes électroniques.
Derrière les uniformes, il y a des hommes et des femmes qui partagent le quotidien des voyageurs. Beaucoup racontent avec fierté qu’ils connaissent certains habitués par leur prénom, qu’ils prennent le temps de discuter avec les étudiants, d’aider une mère de famille à porter une poussette ou de calmer une querelle entre adolescents. Ces gestes, presque invisibles, sont pourtant essentiels pour construire une relation de confiance. Dans un transport collectif où se croisent chaque jour des milliers de vies, la sécurité n’est pas seulement une affaire d’ordre public, mais aussi une question de lien social.
Le tramway d’Oran est devenu bien plus qu’une infrastructure. C’est un symbole de modernité, un espace où la sécurité et la citoyenneté se rejoignent. Pour les autorités, il représente aussi un laboratoire. Si ce modèle fonctionne, il peut inspirer d’autres projets urbains en Algérie. À la tombée de la nuit, quand les rames filent encore sur les rails illuminés, les agents de la brigade continuent leur veille discrète. Leur présence est presque imperceptible, mais elle imprègne chaque geste du voyageur rassuré. Dans cette ville méditerranéenne en pleine mutation, leur mission va au-delà de la surveillance. Elle façonne l’image d’une ville d’Oran moderne, sûre et ouverte sur l’avenir et au monde.
Reportage réalisé par Yacine Redjami