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Entretien avec le Pr Boubekeur Mohamed, sénateur, chef de service à l’EHU «1er Novembre» Oran:
« La contractualisation des hôpitaux, est le seul moyen de faire progresser la médecine en Algérie » (Suite et fin)

Dans cette 3ème partie de l’entretien accordé par le Pr Boubekeur Mohamed à Ouest Tribune, sur les thématiques de la pandémie, la vaccination, le « Big Day », les hôpitaux, la rentrée sociale, la contractualisation des hôpitaux, constitue, selon lui, un outil de politique de santé dont le rôle dans l’amélioration de la performance des systèmes de santé, est un enjeu majeur pour la progression de la médecine en Algérie. Ecoutons-le :

Ouest Tribune : Le dossier de la contractualisation des hôpitaux semble vous tenir à cœur. En quoi consiste-t-il ?

Pr Boubekeur Mohamed : La contractualisation ne doit pas être confondue avec la privatisation. Elle concerne un hôpital de droit public mais de gestion autonome, ce qu’on appelle une EPIC. C’est-à-dire, faire rentrer de l’argent, payer son personnel, payer ses équipements et ses charges et qui s’entretient, etc. C’est en quelque sorte, un hôpital privé, sauf qu’il est de droit étatique. Il se gère par des conventions, il est payé par les assurances, il travaille avec le ministère du Travail et le ministère des Affaires Sociales, le ministère de la Solidarité. Le directeur de L’EHU, établissement hospitalier universitaire, a une gestion autonome, il est indépendant, c’est-à-dire qu’il peut admettre un personnel sous forme d’un contrat, sans passer par la fonction publique. Ce directeur travaille avec un conseil d’administration composé de représentants de la CNAS, de la médecine du travail, certains directeurs, etc. Il y a un président du Conseil d’administration qui est nommé par le ministère de la Santé. Aussi, dans la formation du personnel, on peut créer une école ; à ce propos d’ailleurs, une école paramédicale a déjà été créée par l’EHU. Donc, comme cité ci haut, c’est une EPIC. L’EPIC est dotée d’un statut. Ce statut comprend un conseil d’administration, il y a un directeur, chacun avec ses prérogatives. Malheureusement, pour aller dans le vif du sujet, aujourd’hui, nous ne sommes pas arrivés à cela. Cela traîne depuis plus de 20 ans ! Et dire que le projet de cet hôpital a été initié en 1974, il a ouvert en 2004, nous avons commencé à fonctionner correctement avec plusieurs services en 2005, et croyez-moi, c’était une bataille ardue, faut-il le rappeler. Nous avons entamé nombre de démarches auprès du ministre de l’Energie de l’époque pour accélérer sa mise en œuvre et le faire aboutir. Auprès de ce même ministre, j’avais, en ma qualité de président du conseil administration, notifié mes inquiétudes et par delà les difficultés rencontrées quant au bon fonctionnement de l’hôpital. Il aura fallu l’intervention du président de la République pour ouvrir le concours pour les postes universitaires dans les jours qui viennent. Ainsi, 18 professeurs et chefs de services ont commencé à travailler alors qu’il y en avait que deux, détachés de l’hôpital et qui n‘avaient d’ailleurs même pas les papiers régularisés, situation à laquelle il fallait remédier, évidemment.

Ouest Tribune : Qu’en est-il de la situation aujourd’hui, soit plus de 20 ans après ?

Pr Boubekeur Mohamed : Aujourd’hui, cet hôpital continue à travailler avec une subvention. On était à 250 milliards, aujourd’hui on est autour de 450 milliards. Mais, je tiens à préciser qu’une subvention ne peut pas suffire dans un hôpital qui travaille en pôle d’excellence et en pôle de spécialités et qui pour la plupart, ce sont des services à caractères régionaux et certains sont à caractères nationaux. Il accueille des malades de toutes les régions, parce que ce sont des services spécialisés. En plus, nous n’avons pas d’opérations planifiées . Si on compare avec un hôpital public, à l’exemple du CHU, qui a un budget de près de mille milliards, qui en plus bénéficie d’opérations planifiées, c’est-à-dire qu’au courant de l’année, il peut commander des équipements, des scanners, des IRM, etc, il y a anomalie. Ainsi, nous n’avons pas droit aux équipements planifiés, une faible subvention et on traite plus de malades, même les brûlés, cela relève tout bonnement de l’impossible et de l’incompréhensible. Quand vous avez des pôles de spécialités, vous avez la chirurgie qui traite tous les cancers, à raison de 80 % à 90% de succès, quand vous avez l’urologie qui se fait uniquement par chirurgie parfois endoscopique, quand vous avez la chirurgie vasculaire qui se fait uniquement par voie vasculaire, et à côté de cela on n’a pas d’équipements, un scanner qui ne marche pas, une IRM qui ne marche pas et pas de consommables, la situation est intenable.
Aussi, et à titre illustratif, quand vous demandez rien que 100 millions de consommables, c’est pour une durée de 15 jours, soit au maximum, une cinquantaine de malades, ce qui est insignifiant. Payer l’oncologie, c’est 60 milliards de consommation , l’hématologie, c’est 60 milliards , ajouté à cela, la masse salariale du personnel, soit plus de 4000 employés, imaginez l’ampleur des dépenses. Et encore, on n’a pas cité la pharmacie et les médicaments, dont la dette s’élève à 600 milliards qu’on a réussi tout de même à effacer au fur et à mesure, mais péniblement . Un cancer du rectum, ou celui de l’œsophage, c’est un minimum de 100 millions et ce, quand il n’y pas de complication si on veut le traiter par voie endoscopique . Une seule pince de thermo- fusion fait 10 millions, et j’en passe sur les autres outils nécessaires aussi onéreux et indispensables dont la facture s’élève aux alentours de 600 millions, sans parler des malades qui sont en réanimation, qui nécessitent des drogues et des produits. Donc, avec tout cela, comment un hôpital peut-il continuer ? On ne peut pas, tout simplement.

Ouest Tribune : Doit-on considérer que la contractualisation est un échec ? C’est un cri de détresse que vous lancez, là ….

Pr Boubekeur Mohamed : Ecoutez, si on veut faire une spécialité, il faut donner les moyens. C’est pour cela que j’insiste sur la contractualisation qui n’intéresse pas uniquement l’EHU. L’EHU « 1er Novembre », est le seul établissement universitaire au niveau national. Il est plus grand que l’hôpital Mustapha. Les établissements hospitaliers (EH), qui sont des hôpitaux de santé publique, ne font pas ce que fait l’EHU. Effectivement, on peut avancer qu’il y a échec. Figurez-vous que l’EHU « 1er novembre », a un héliport qu’on n’a pas pu faire fonctionner alors qu’en principe nous devions avoir notre propre hélicoptère ou du moins un appareil affrété en convention avec la protection civile. De plus, l’EHU est un hôpital qui est formateur, tous les services sont formateurs, l’université ne vit que de cet hôpital et de surcroît, les plus grands formateurs sont là. Il a été désigné comme hôpital pilote et ça ne marche pas ! Le projet traîne depuis 20 ans, pourquoi ? En tant que président du conseil scientifique, j’ai travaillé avec 03 wali et 03 ministres, dont l’actuel ministre, Benbouzid, on a tenu plusieurs réunions de travail, j’ai exposé le problème lors d’une séance Gouvernement-Sénat, je me suis adressé à l’ex Premier ministre auquel j’ai ouvertement déclaré faire endosser la responsabilité du dossier de la contractualisation. Et lui faire comprendre que ce dossier accuse un retard fatal qui pénalise tous les malades de l’Ouest pour ne pas dire à l’échelle nationale, parce que c’est un hôpital où il y a des pôles d’excellence. Sur le plan financier ainsi que sur le plan de la gestion, c’est un échec. J’ai exprimé à haute voix et à qui veut l’entendre que l’EHU est le premier hôpital numérisé, le seul hôpital qui, avec l’apport de l’Union européenne qui a versé quelques millions de dollars, à avoir eu le dossier médical électronique, que les professeurs existent, ils sont là, nous avons avancé, mais jusqu’à aujourd’hui, là encore, nous n’avons pas progressé dans ce volet et n’allons pas aboutir. Là, je saisis votre tribune pour lancer un appel au président de la République afin de faire en sorte que le dossier de la. contractualisation des hôpitaux aboutisse au plus vite, car à mon humble avis, c’est le seul moyen de faire progresser la médecine en Algérie. C’est un double cri, du cœur et de détresse que je lance, car on souffre, on n’arrive pas à travailler.

Karim.B

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