Abordé sur l’état de la santé en Algérie et l’actualité épidémique, le Pr Boubekeur Mohamed, n’est pas allé avec le dos de la cuillère pour dénoncer le retard pris, d’une part, dans l’avancement de certains dossiers, dont celui de la contractualisation et de l’autre, les incohérences dans la gestion des structures hospitalières, notamment au niveau de la wilaya d’Oran. Écoutons-le :
Ouest Tribune : Pr Boubekeur, comment se présente globalement la situation épidémique en Algérie
Pr Boubekeur Mohamed : D’abord je tiens à préciser que ceux qui soutiennent que l’on commence à voir le bout du tunnel, je leur réponds que ce bout du tunnel est encore loin parce qu’il y a toujours ces variants qui apparaissent ; les gens qui pensent que c’est un simple rhume ou une gripette, ils se trompent énormément, car le variant Omicron est à forte transmissibilité, mais moins létal ; c’est-à-dire, il y a beaucoup plus de contagions, les consultations ont beaucoup augmenté, et semble-t-il, les décès avaient beaucoup diminué. Si on voit à travers l’Europe, vous avez les exemples de la France, de la Grande Bretagne, ou des USA, ce sont des centaines de milliers de cas. En France, c’est pas moins de 500.000 cas/jour et des décès jusqu’à 300. Et si vous faites des comparaisons avec le Moyen-Orient, l’Europe ou les USA, les consultations sont en augmentation, le nombre de décès a augmenté. Aujourd’hui, concernant l’Omicron, il y a plusieurs phases. La première, c’est que le Delta et l’Omicron se sont rencontrés, ce qui a engendré beaucoup de problèmes et provoqué beaucoup d’hospitalisations et de décès avec une saturation au niveau des hôpitaux. Je parle à travers le monde. En Algérie, nous n’avons pas les statistiques réelles qui puissent prouver qu’il y a tant de consultations ou de contaminations/jour, par contre, on dira qu’à un certain moment, l’hôpital est surchargé puisqu’ils son arrivés à déprogrammer des malades de chirurgie et des malades qui devaient être hospitalisés pour des maladies chroniques. Le variant Omicron a envahi toutes les familles algériennes. On se dit que c’est un simple rhume, parce que aujourd’hui, faire un test antigénique, un test sanitaire ou un PCR, ça coûte cher ; on ne peut pas faire une traçabilité. On ne peut même pas dire c’est l’Omicron, parce que le seul dépistage, se fait au seul centre au niveau d’Alger ; ce qui est terrible, car on aurait pu quand même, vu les moyens humains et la force logistique algérienne, créer un centre par région, à l’Est, au Centre et à l’Ouest, on ne peut tout centraliser à Alger qui a fini par étouffer. Il faudrait peut-être penser à faire en sorte qu’il puisse y avoir des régions qui prennent les responsabilités, car sur le plan sanitaire et malgré qu’on en ait discuté pendant les assises nationales de la Santé, les choses ne semblent pas s’éclaircir ni s’améliorer.
Ouest Tribune : Ya-t-il détresse ?
Pr Boubekeur Mohamed : Nous avons prouvé que le système de santé était faible, que nous avons une armée blanche qui est volontaire, rigoureuse, courageuse pour affronter la mort, d’ailleurs nous avons perdu pas moins de 500 personnes du corps médical et paramédical, mais ça ne suffit pas, il faut des moyens. L’Algérie n’est pas un pays producteur, on ne fabrique pas d’équipements, on commence juste à fabriquer du consommable, tous ces moyens manquent. Donc aujourd’hui, avant de dire, le ciel s’est éclairci, il faut rester très vigilant et rigoureux dans les gestes barrières et ne pas mésestimer ça, car il y a des décès et on voit tous les jours des familles pleurer et crier. On ne peut pas s’habituer aux cris des gens, à leur souffrance, ça vous stresse, ça vous met mal à l’aise parce que vous vous dites, il y a un ennemi que je ne vois pas qui touche les autres et qui peut nous toucher tous ; nous ne pouvons y rester très insensibles. Aussi, il y a une nonchalance terrible d’une grande partie des gens, dans les bus, dans les espaces publics, des regroupements suicidaires, etc.
Ouest Tribune : Une contamination généralisée signifie-t-elle une décroissance de la pandémie Et si contamination collective, y’ a, a-t-elle été bénéfique
Pr Boubekeur Mohamed : Vous constatez qu’au jour d’aujourd’hui, les consultations étaient nombreuses et beaucoup d’hospitalisations. Actuellement, on assiste à travers le monde et en Algérie à une diminution des consultations, vous l’avez vu au niveau de l’hôpital, de 200 consultations, on est passé à 90, on a l’impression d’arriver au bout du tunnel ; mais ce que l’on constate c’est que les hôpitaux sont encore surchargés et que le nombre des décès augmente. Le problème, par conséquent, est qu’on ne peut pas s’avancer ; le nombre des consultations descend, celui des hospitalisations également, mais au niveau des soins, en intensif, il y a plus de malades, et il y a plus de décès. C’est terrible alors qu’on disait que l’Omicron n’était pas létal. Dans les pays développés qui ont les moyens pour faire le diagnostic, on dit que c’est l’Omicron avec ses variants, le BA2 et le BA3 qu’on ne connait pas ; on en a trouvé en Belgique et aujourd’hui à Alger où on a signalé 13 à 14 cas; donc vous voyez, le problème, c’est que le nombre des décès est entrain d’augmenter et on ne peut pas dire, demain il fera beau, c’est un virus qui devient saisonnier et le problème est réglé.
Et d’un. Deuxièmement, chez nous, on ne sait pas car on a le Delta et l’Omicron. Nous sommes à au moins 57 à 60 % d’Omicron ; les chiffres algériens sont inexacts, car le traitement séquentiel se fait uniquement pour les gens qui font la PCR, et la PCR, c’est pratiquement les gens d’Alger et pas de toute l’Algérie ; donc on ne peut pas donner des chiffres exacts mais par contre, on peut dire que réellement l’Omicron a envahi la population algérienne à un fort pourcentage, plus de 50 %, parce que le signes cliniques ne sont pas les mêmes.
L’Omicron reste uniquement au niveau de la gorge ; l’on observe des gens avec le nez qui coule, une sorte de rhinite et la voix rauque, alors que le Delta, va directement dans les poumons ; le problème change totalement. Je précise que pour l’isolement, pour l’Omicron, c’est 04 à 07 jours, à conditions d’être symptomatiques et quand on est asymptomatiques, l’isolement est de 05 jours avec un traitement tout à fait banal, c’est-à-dire vous prenez des antalgiques avec de la vitamine C. Le Delta, s’installe au niveau des poumons, il crée des infections pulmonaires qui nécessitent une hospitalisation, de l’oxygène et des antibiotiques ; donc on ne peut se baser que sur des faits que nous avons constatés au niveau des hôpitaux et de nos consultations pour dire ça, c’est un Omicron et ça, est un Delta.
On reste plus ou moins dans la certitude. D’autre part, la plupart du temps, on vous dit, j’ai une angine, je dis non, c’est de l’Omicron manifestement car il se situe au niveau de la gorge. Alors pour revenir à l’immunité collective, oui, nous avons compté pour laisser aller le virus se propager et de lui-même il va entraîner une immunité naturelle et collective. Mais au prix de combien de vies À ce moment là, il ne faut pas chercher à comprendre les choses, le virus est là, il pourra tuer ce qu’il tuera. Je le redis, le vaccin protège de la mort et ceux qui sont anti-vaccin, n’ont pas de conscience, d’autant plus que la vaccination a fait ses preuves. Quand on a des enfants en bas âge, on les vaccine contre la diphtérie, la coqueluche, la méningite, la rougeole, etc. C’est comme cela qu’on a pu éradiquer des maladies comme la poliomyélite, la méningite, grâce aux vaccins. Un enfant atteint de poliomyélite, c’est un handicap majeur, non seulement pour la personne mais aussi pour toute la famille.
Ouest Tribune : A priori, aucune tranche d’âge n’est épargnée. La décision de fermeture temporaire des établissements scolaires serait donc judicieuse…
Pr Boubekeur Mohamed : En effet, aucune tranche d’âge n’est épargnée ; aujourd’hui, même s’ils ont une forte immunité, les enfants ont été contaminés par le virus Omicron, mais ils transmettent. Un enfant qui arrive chez lui contaminé de la crèche ou de l’école, du lycée ou un étudiant, il contamine toute sa famille et son voisinage ; donc, la décision de fermeture des établissements scolaires et de la prolongation est sage pour casser la chaîne de transmission du virus. D’autant plus que le secteur de l’Education n’était pas vacciné. Aujourd’hui on annonce près de 15 % parce que dans toutes les écoles on pratique la vaccination, les enseignants ont compris et donc ils sont entrain de se faire vacciner, ce qui fait que le taux de vaccinés est entrain d’augmenter, ça va nous protéger un petit peu. Les étudiants étaient entre 02 et 04% de vaccination, depuis les gens se sont mobilisés. En fait, c’est ça le problème, il y avait une absence de vaccination alors que nous avons les vaccins à notre portée. On a même eu des milliers de vaccins qui risquaient de se périmer. Aujourd’hui, de toute façon l’Algérie produit le vaccin, d’ailleurs validé en Angleterre, les gens devraient aller se faire vacciner. D’autre part, la vaccination n’élimine pas la contamination à 100%, elle protège contre les formes graves, contre les décès, seulement, nous avons vu et vécu des cas où, il y a eu des infections et des réinfections, mais tant que ça se localise au niveau de la gorge, il n’y a pas de problème. Autre chose, l’Omicron est fortement contaminant parce qu’il se focalise à forte concentration au niveau de la gorge, et sort très vite dans les aérosols quand on parle. Ce qui explique le fort taux de contamination. Alors que la Delta se situe au niveau des poumons donc, la transmission, est moindre. Dans le virus BA 2, c’est lui qu’on a retrouvé chez nous, il semble qu’il est aussi transmissible que l’Omicron mais moins sévère. Il faut savoir qu’il Il y a un virus qui se multiplie, on appelle ça des mutations et qui fait des erreurs de copie, lesquelles erreurs entraînent la naissance de variants. Sauf que le variant qui nait, on ne sait pas comment il va se multiplier, on ne connait pas son degré de contamination ; apparemment, le BA 2 et 3, sont moins contaminants et moins nocifs.
Ouest Tribune : Donc vous confirmez que la population la plus exposée à la morbidité, serait celle non vaccinée Aussi, il est question de fléchissement dans l’âge et de Syndrome « PIMS» qui concernerait les enfants. Si vous nous en parliez un peu plus
Pr Boubekeur Mohamed : Le fort taux d’hospitalisation concerne la population non vaccinée, mais parmi elle, il y a des gens vaccinés ; toutefois, le pourcentage le plus important reste celui des non vaccinés ; aussi, il y a en effet un fléchissement dans l’âge, ce sont des jeunes qui sont hospitalisés, parce que l’Omicron est fortement contaminant, à partir du moment où il est focalisé comme expliqué plus haut, au niveau de la gorge et par conséquent facilement transmissible. En plus, il y a le comportement négligeant de la population, sans protection, ni de gestes barrière, un relâchement total au niveau des espaces publics, des marchés, des transports, et même dans le secteur public, dans les hôpitaux, les cliniques, etc. Maintenant la chaîne de transmission s’est vite amplifiée ; et puis, il y a aussi l’enfant, chez lequel est né le syndrome « PIMS » qui est dangereux car c’est un syndrome inflammatoire qui peut entraîner aussi des décès ; vous voyez, à chaque fois, il y a des conséquences de plus en plus importantes.
Ouest Tribune : Il est observé un rush sur les moyens de diagnostics. Le manque de ces moyens dans les hôpitaux, ne favoriserait-il pas quelque part, le secteur privé
Pr Boubekeur Mohamed : En effet, il y a un rush flagrant sur les moyens de diagnostic. Quand quelqu’un suspecte qu’il a un Covid, il va à l’hôpital, mais à l’hôpital, il n’y a pas tous les moyens, donc il se dirige vers le privé ; inéluctablement, fait que l’on est entrain de favoriser le secteur privé. Imaginez ce quoi doit débourser un père de famille pour un test antigénique (800 Da), la PCR entre 9000 et 10.000 Da, la consultation environ 2000 Da, il se retrouve en sortant de chez le médecin à débourser entre 15 et 20.000 Da par personne ; si la famille compte 04 à 05 personnes, il va se ruiner ; ceci n’est pas normal. Mais il y aune chose qui est importante et il faut le dire, c’est que dans le secteur public, notre médecine est généreuse car malgré le manque de moyens, tout est gratuit. Ils font encore des PCR, des tests antigéniques, des scanners, des IRM.
Ouest Tribune : Il est constaté chez la population cette fâcheuse tendance à l’automédication. Comment expliquer cela
Pr Boubekeur Mohamed : Pour en revenir à l’automédication, aujourd’hui, les pharmaciens donnent des médicaments sans ordonnance, les Algériens se sont habitués à se soigner ; face au virus, c’est la course vers le lovenox, les antibiotiques, et autres qu’ils achètent par quantités impressionnantes ; mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que quand vous prenez de vitamines à forte doses, du zinc, etc, ils risquent des complications sévères, elles sont principalement rénales ; le paracétamol provoque des insuffisances hépatiques aigues, avec mort instantanée, avec les anti-inflammatoires, type Voltaren, vous avez des brûlures internes et donc le malade va en réanimation et meurt en 48 H. La synergie de certains médicaments n’est pas acceptée ; quelqu’un qui est entrain de se traiter pour de l’hypertension, il prend un autre médicament, il risque de faire un AVC ou un autre problème pour se retrouver dans une structure hospitalière pour une complication d’ordre médical. C’est tout simplement de l’inconscience.
Ouest Tribune : Certaines structures hospitalières tourneraient avec des effectifs réduits. Quelle en est la cause Y-a-t-il malaise quelque part Il serait même question de fuite de personnels vers le privé…
Pr Boubekeur Mohamed : Au niveau de l’EHU, nous avons eu une démarche importante, on a isolé le Covid, dans deux hôpitaux, « El Kerma » et « Nedjma » pour ne s’occuper que de cela, ce qui a nous a permis de ne pas ralentir nos prises en charge en ce qui concerne les maladies chroniques, les interventions chirurgicales. Sauf que depuis quelques temps, nous sommes obligés de déprogrammer et ralentir nos activités, car il y a un fort taux de contaminations. Plus de 50 à 60% des personnels sont contaminés ; pour être plus précis, si vous avez l’Omicron, c’est 05 jours d’incubation, donc 10 à 14 jours d’arrêt de travail, alors qu’avec le Delta, c’est 21 jours ; imaginez que vous ayez 50 à 60% du personnel absent, qui va faire la garde, qui va opérer Vous êtes obligés de ralentir le programme de travail. Deuxièmement, vous avez les médicaments, puisque la plupart des médicaments sont versés par le Covid, donc je ne peux pas prendre les maladies chroniques, les malades qui nécessitent une intervention chirurgicale, etc. Il n’y a pas de médicaments. Troisièmement, l’absence de la contractualisation et de la mutualisation ; si nous fonctionnons sur un régime de la carte plus une mutualisation qui est faite par les assurances, la CNAS qui ne joue pas son rôle, le ministère du travail qui ne voit pas bien la question, bien qu’on en a parlé lors des assises, qu’est ce qu’on peut faire Nous pourrions recruter soit des bénévoles, soit des retraités et à ce moment là, on peut les payer et ils viendront travailler. Mais combien, vous allez les payer Parce qu’aujourd’hui, même ceux qui sont en poste, ils encaissent 800 Da par garde, est ce que vous pouvez engager votre vie pour 800 Da qu’on paie 06 mois après Alors qu’à l’étranger, quand on vous appelle, en week-end, c’est plus de 2000 euros ! De plus, quand on va faire la garde, vous n’avez rien, ni à manger, ni un espace où vous asseoir, ni espace où vous reposer, vous n’avez même pas droit à un petit breakfast. Allez voir les hôpitaux européens, vous avez un restaurant, un espace de repos, un frigo bien garni, la cafetière disponible. Ici, si vous avez faim le soir, allez-vous manger des cailloux Écoutez, il y a le problème logistique alimentaire, le problème financier, l’argent c’est le nerf de la guerre ! C’est eux qui veulent qu’il y ait un fort taux d’absentéisme ; il y a des gens qui sont anxieux, stressés, ils ont peur du virus, ils s’absentent alors ou viennent en retard, etc. Tout cela fait que nous sommes obligés de déprogrammer des malades auxquels on ne peut pas prêter une assistance médicale, et qui meurent parce qu’ils ont dépassé le temps où on pouvait les sauver. Vous avez une chirurgie du cancer, vous faites une radiothérapie, il faut l’opérer une semaine après, et si ce n’est pas fait, vous avez dépassé le délai. Cet état de fait, nous renvoie à la question de fuite du personnel professionnel vers le privé. Un cardiologue qui fait 80.000 Da/mois, touche au bas mot, 200 millions chez le privé. L’Etat forme des gens pendant 12, 15 ans, et ensuite ils fuient le secteur public; ainsi, vous perdez des compétences, vous vous acharnez à former des pôles d’excellence et finalement, vous perdez des personnes que vous avez formées parce qu’elles vont ailleurs ; alors des cardiologues, vous n’en trouvez pas, des réanimateurs, vous n’en trouvez pas, etc. Quand vous avez des pénuries de réanimateurs, comment voulez vous qu’on vous opère Et encore, je parle des grands centres, Oran, Alger, Constantine, mais si vous rentrez vers les Hauts Plateaux et vers le Sud, ce n’est même pas la peine d’en discuter. C’est le « no man’s land ».
Ouest Tribune : Des assises nationales de la Santé ont été tenues dernièrement. Ont-elles été fructueuses?
Pr Boubekeur Mohamed : Je précise que l’on a tenu des assises régionales pour faire un diagnostic au niveau des régions ; les recommandations qui sont venues des régions sont arrivées dans ces assises et ont été discutées dans 08 ateliers. On a parlé de la numérisation, de la contractualisation, de la logistique, des moyens, des équipements. Mais, les assises, on en fait à chaque fois et à chaque fois, il y a des recommandations. Maintenant, tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a eu des recommandations qui ont été écoutées, les assises ont été ouvertes pour la première fois par le Premier ministre ; elles devaient être ouvertes par le président de la République qui a estimé préférable d’assister à la clôture pour justement écouter les recommandations et s’est engagé à faire en sorte que leur prise en charge soit effective au plus tard, avant la fin de l’année. C’est un engagement qui a été fait, donc on attend. Mais la contractualisation n’a pas besoin de cela. La contractualisation de l’EHU d’Oran qui a été engagée pour être construit en 1974 est sortie avec un statut d’hôpital pilote ; on a commencé à travailler dans cet hôpital en 2004, nous sommes en 2022, jusqu’à présent ça n’a pas abouti ! J’ai intervenu mille et une fois, ici, avec au moins trois ou quatre wali, avec au moins cinq ou six ministres, on a parlé de la contractualisation. Pourquoi on n’aboutit pas alors qu’avec le secteur privé, on aboutit Pourquoi ces blocages, je ne comprends pas on ne peut pas avancer sans la contractualisation, parce qu’elle permet, primo, d’améliorer les salaires des personnels, d’acheter tout ce qui est logistique, équipements et médicaments et secundo, d’améliorer la prise en charge des patients, parce que nous allons travailler en fonction de nos finances ; vous êtes contractuels dans l’hôpital, vous allez être payés en fonction de vos activités, si vous êtes rentable, vous êtes payé convenablement et plus même, et si vous ne l’êtes pas, vous rentrez chez vous. Moi, je parle ici d’un système de santé. Depuis 2004 jusqu’en 2022, nombre de ministres sont passés, mais les choses n’ont pas été prises de façon rigoureuse parce qu’il n’y a pas qu’un seul secteur, à savoir celui de la Santé, mais plusieurs qui concernent les ministères du Travail, de l’Emploi, des Finances, etc ; qui doivent se réunir et se dire aujourd’hui, on doit fonctionner sur un système de contractualisation. La question que je pose est de savoir pourquoi cela s’est fait automatiquement dans le secteur privé et pas pour l’EHU. Vous êtes algérien, vous avez votre carte Chiffa, vous allez chez un cardiologue, ou une clinique, vous deviez avoir un traitement instrumental cardiovasculaire par exemple, un « stent » ; chez nous on n’arrive pas à trouver un « stent », par contre chez le privé on le trouve facilement, parce qu’il gagne de l’argent ; on ne trouve pas de pénurie de « Stent » chez le privé, mais il te le fait à 30, 40, 50 millions de centimes et plus. A ces tarifs là, le privé peut se permettre, il est toujours ravitaillé par contre le secteur public est soumis à un contrat, le moins-disant. On ne peut pas travailler comme ça ; et même quand on achète des équipements, ils sont obsolètes, ils ne sont pas de dernière génération, car on n’a pas le choix car vous êtes soumis au moins-disant. Voilà pourquoi je dis que la contractualisation doit être prise par plusieurs secteurs, et tant que nous n’avons pas abouti à sa consécration, on ne peut pas fonctionner. Le dossier de la contractualisation traîne depuis 18 ans. Aujourd’hui, si vous voulez recruter un infirmier, vous êtes obligés d’avoir des postes au niveau du ministère de la Santé, les postes arrivent au niveau de la DSP, il faut faire des concours, vous avez mille personnes qui concourent pour le même poste, ensuite ils sont notés au niveau de la DSP ou bien au niveau de l’hôpital, ils partent à la fonction publique où c’est un autre système de notation, et là il y a des interférences, vous pouvez attendre 20 ans pour l’avoir. Alors que chez nous, je peux aller voir le directeur, je propose un dossier qui est bon pour l’EHU, il passe chez la DRH, prend son CV, un entretien, s’il est concluant, le lendemain il signe son PV et la recrue vient travailler. C’est pour ça qu’aujourd’hui, dans les hôpitaux qui sont soumis à un budget étatique, c’est-à-dire venant du ministère de la Santé, on ne peut rien faire, car le recrutement du personnel oblige à passer par les concours. A l’EHU, le directeur de l’hôpital juge avec son staff sur votre compétence et sur votre rentabilité.
Ouest Tribune : Le ministre de la Santé a récemment déclaré que la numérisation constitue l‘une des tares dans le système de la santé en Algérie. Votre avis sur le sujet …
Pr Boubekeur Mohamed : Oui, jusqu’à aujourd’hui, on n’est pas arrivés à numériser le système de santé. Au niveau des hôpitaux, il n’y a pas de numérisation. Nous, je parle de l’EHU, sommes arrivés à installer ce qu’on appelle le dossier médical électronique, mais bon, il n’y a pas la volonté des homes et donc, il a fléchi. L’Union européenne nous a doté d’un million d’euros pour installer le système, ramener le logiciel, il y a tout un personnel qui est formé, il est fonctionnel dans quelques services qui sont reliés, mais ailleurs, non. Ce qu’il faudrait faire, c’est qu’il puisse d’abord y avoir un système de numérisation interne aux hôpitaux, puis un système de numérisation qui soit relié directement au ministère de la Santé et aux différentes directions de la Santé. Mais, et ça on se doit de la souligner, comment voulez-vous travailler avec une direction de la Santé qui est totalement négative Et je l’ai dit pas plus tard qu’il y a quelques jours au secrétaire général du ministère de la Santé, que la ville d’Oran est trop grande pour l’actuel directeur de Santé de wilaya. Vous savez qu’à Oran, il y a énormément de pôles, vous avez l’institut du Cancer, le service des brûlés, l’hôpital de la police, l’EHU, le CHU, l’hôpital d’El Mohgoun, l’hôpital d’Aïn El Türck, celui d’El Kerma, « Nedjma », l’hôpital de Gdyel, nous avons 12 à 14 structures ; si vous totalisez tout ça, vous avez 900 lits et 700 lits entre les deux hôpitaux, vous avez près de 2000 lits, et puis si vous multipliez par 5, 240 lits, nous aurons un nombre global de près de 3500 lits ; on approche les 4000 lits. A l’hôpital « Nedjma » qui est rattaché à l’EHU, nous avons donné notre personnel, et c’est avec ça qu’ils travaillent, sinon, il serait fermé, l’hôpital de Gdyel de 240 lits n’est toujours pas ouvert, parce qu’il manque quelques équipements ! II y a un budget, il faut ouvrir cet hôpital ; l’hopital de Tlélat, 120 lits, toujours pas ouvert et qu’on veut transformer en Trauma-Center pour les jeux méditerranéens. Faut-il une pression derrière pour l’ouvrir L’hôpital d’El Kerma fonctionne parce qu’on l’a rattaché uniquement au Covid et rattaché au CHU. Et puis, vous avez pas mal de structures, des cliniques qui sont importantes à l’instar des « Amandiers », 240 lits, « Sainte Anne », 120 lits, celle de « Point du jour », 120 lits ; l’hôpital de Canastel avec plus de 240 lits où tout un bâtiment est fermé. Cet hôpital n’est pas fonctionnel et est toujours en chantier. Vous avez une autre structure au niveau de M’dina J’dida, l’ancien hôpital militaire. Il y a aussi Misserghine, Boutlélis. Vous vous imaginez le nombre de structures qui ne demandent qu’à être exploitées. Tout ça relève de l’incompétence, Oran ne mérite pas ça ! On a vu comment s’est passée la gestion de la pandémie, heureusement qu’il y avait le défunt professeur Mansouri, directeur général de l’EHU, pour l’isolement du Covid en optant pour des hôpitaux, El kerma et Nedjma, sinon on aurait perdu beaucoup de vies. Par contre à Alger, ils n’ont pas fait ça, ils ont pris des services et ont été donc obligés d’arrêter le programme opératoire, ce qui n’a pas été fait chez nous. D’ailleurs, le ministre lui-même s’en est inspiré de l’idée « oranaise », pour dire voilà ce qu’il faut faire pendant la pandémie.
Ouest Tribune : Cela veut-il dire que nous sommes condamnés à vivre avec le virus? Et, ira-t-on jusqu’à une quatrième dose de rappel
Pr Boubekeur Mohamed : On risque de dire une chose qui est très importante, c’est qu’on est obligés de vivre avec le virus. Autre chose que les gens oublient, c’est-à-dire quand ils font une grippe ou un rhume, on dit qu’il y a une protection, l’immunité augmente, ça produit des anticorps et ça permet de diminuer la contamination, mais ce qui est grave, c’est qu’un virus de la grippe associé à un virus Omicron ou Delta, l’ensemble devient agressif, c’est pour cela que l’on dit que l’on peut faire, en même temps le vaccin antigrippal d’un coté et le vaccin anti-Covid de l’autre. Ce qui ne veut pas dire que nous n’allons pas aller vers une quatrième dose de rappel. Je vous dirai qu’au niveau de certains pays, les populations sont vaccinées pratiquement aux trois quarts avec la quatrième dose. A un certain moment, il a été convenu la dose de rappel à 06 mois, puis 05 et aujourd’hui à 03 mois parce qu’on a constaté que l’immunité est descendue de 90 jusqu’à moins de 40%. Aujourd’hui, si vous parlez de l’Europe, il y a un fléchissement au niveau des consultations et au niveau des hospitalisations. Chez nous, selon un constat qui est fait sur les chiffres qui sont basés uniquement sur la PCR, nous nous sommes descendus en dessous des 2.000 cas. Nous sommes arrivés à 2500 et depuis quelques jours, nous sommes à environ 1400. Nous sommes en février, il se peut que vers la mi-février ou la troisième semaine de février, les choses redeviendraient comme avant, avec moins de contaminations, moins d’hospitalisations et moins de décès, donc vers un déclinement de la quatrième vague.