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Le Pr Mohamed Boubekeur, Chef de service à l’EHU Oran en exclusivité pour Ouest Tribune:
« La stratégie de lutte contre la pandémie, ne saurait être hypothéquée par un variant»

C’est à un véritable plaidoyer de sensibilisation citoyenne qu’appelle le professeur Mohamed Boubekeur, Chef de service / Chirurgie digestive et viscérale à l’EHU Oran, dans la lutte contre la pandémie du Covid-19 et plus particulièrement, contre sa nouvelle souche, le variant britannique, dont 5 cas ont été récemment détectés dans le pays, afin de ne pas hypothéquer, dira-t-il, la stratégie nationale telle qu’initiée par le président de la République et pour laquelle de gros efforts humains et financiers ont été consentis, sans parler du lourd tribut payé par le corps médical et paramédical mais aussi citoyen.

 

En somme, si la sensibilisation et la communication demeurent essentielles, voire vitales dans cette lutte, le ciblage et la priorisation dans la campagne de vaccination, le sont tout autant, rétorquera-t-il. Ecoutons-le :

 

Ouest Tribune : Le monde est entré dans une vaste campagne de vaccination, quelle méthodologie voyez-vous pour l’Algérie ?

 

Pr Mohamed Boubekeur : s’il est nécessaire de maintenir les mesures préventives afin d’éviter une propagation éventuelle de la pandémie et du nouveau variant britannique ainsi que le renforcement des enquêtes épidémiologiques, dont le dépistage, le ciblage et la priorisation dans la campagne de vaccination doivent prévaloir selon une méthodologie bien étudiée, à savoir vacciner d’abord les personnes fragiles, puis les personnes à risque et ainsi de suite. Aussi, la répartition des quotas de vaccins à travers les wilayas du pays, doit obéir à une réflexion plus minutieuse. Autrement dit, dans la stratégie de vaccination, on ne doit pas chercher la symbolique, mais l’efficacité. Aujourd’hui, des vaccins russes, chinois et autres sont sur le marché, à l’instar de Spoutnik V, Astrazeneca, Pfizer/Biontech, Johnson & Johnson, chacun avec ses propres indications, il y a grand espoir. L’Astrazeneca, au début rebuté par la population, s’avère d’une efficacité estimée à 70% et est très recommandé, selon plusieurs études dont la plus importante a été réalisée en Ecosse. Toutefois, il demeure une question prépondérante, à savoir celle du taux d’immunité que procure chaque vaccin.

 

OT : Où en est-on, en général, dans cette lutte contre la pandémie ?

 

Pr Mohamed Boubekeur : il y a lieu de reconnaître que depuis l’avènement de cette pandémie mondiale, en Algérie, on a fait beaucoup de progrès ; d’un seul Institut, celui de Pasteur, pas moins de 83 centres de dépistage ont été installés à travers le pays, des personnels médicaux et paramédicaux ont été formés, on a pu développer et peaufiner notre stratégie nationale de prise en charge et mieux encore, nous sommes prêts dans les 06 mois à venir pour engager la production en Algérie du vaccin russe Spoutnik V contre le virus du Covid-19. Il faut aussi savoir que l’Algérie a consacré une enveloppe de 123 milliards de dinars pour l’achat de vaccins. Il faut avouer qu’à son début, la campagne de vaccination avait été empreinte d’une certaine timidité – que voulez-vous, nous avons un comité scientifique qui vaut, ce qu’il vaut sans diminuer de sa valeur ni de sa compétence-, mais il a fallu une poussée bénéfique du Président de la République pour la lancer comme il se doit. Quant à rendre la vaccination obligatoire pour tous, pour répondre à votre question, je dirai, non. Vacciner 50 à 60% de la population, renforcer dans la durée les moyens de sensibilisation et de communication, insister sur le dépistage, s’avèrent suffisants pour parer à l’urgence. Aussi, le séquençage, s’est avéré être un moyen efficient dans la lutte contre la pandémie.

D’ailleurs, grâce à ce procédé, les cas de variants ont pu être détectés. C’est pour dire que l’Algérie ne ménage pas ses efforts en prenant les mesures qu’il faut, en fermant les frontières, ramener les vaccins, etc. Ceci dit, et pour revenir à la question de la production prochaine du vaccin Spoutnik V en Algérie, j’insiste à dire que ceci ne doit pas ralentir la campagne de vaccination.

Certes, l’Algérie est pour l’heure stable, toutefois, l’introduction des variants dans le pays, nous recommande d’être très vigilants, voire même alarmistes si nécessaire. Cette stabilité est d’ailleurs visible à travers nombre de wilayas du pays, notamment à El Bayadh où j’étais en visite, avec zéro malade. A Oran, au centre Covid de Chteïbo, relevant de l’EHU « 1er Novembre », la charge est faible, même constat au CHU d’Oran, pour ne citer que ces exemples là.

 

OT : Votre avis sur la stratégie adoptée jusque là par le comité scientifique…

 

Pr Mohamed Boubekeur :J’ai le regret de dire qu’il n’y a pas de propositions du comité scientifique et en revanche, un manque flagrant d’homogénéité. Nous, professionnels de la Santé, apprenons les informations à travers la presse. Or, il aurait été judicieux à mon sens, de pousser la réflexion avec une cellule de veille auprès de chaque wilaya.

A l’heure où l’on est, il faut développer une stratégie conséquente. D’ailleurs, il n’y a pas d’études épidémiologiques ; ainsi, le problème épidémiologique risque d’être perturbé par le variant. Il existe une tranche de la population qui déclare opter pour la vaccination, pendant qu’une autre, notamment rurale, y est réticente ou n’y croit plus. Un rassemblement festif de citoyens dans la ville d’Adrar organisé la semaine dernière, en est un exemple illustratif. Moi, je dirai qu’il ne faut pas baisser la garde, l’Algérie s’est jusque là protégée, le premier virus du coronavirus circule moins, mais le variant risque d’entraîner une situation épidémiologique grave. Je finirai sur ça par dire pourquoi ce sont toujours les mêmes qui forment le comité scientifique. D’autres pourraient bien prendre la relève.

 

OT : A quels niveaux structurels, situeriez-vous les manquements ?

 

Pr Mohamed Boubekeur : si l’on se réfère aux acquis, il y a peu de manquements, la stratégie politique du pays a été concluante et décisive à bien des égards, contrairement à beaucoup de pays. On a pu endiguer l’épidémie par le traitement médical, notamment à la chloroquine au tout début, puis par les tests PCR et salivaires sans oublier le traçage qui a été déterminant. A ce propos, les startups nationales ont accompli des prouesses en développant des applications de traçage. Je lance d’ailleurs un appel pour soutenir ces startups qui recèlent de grandes potentialités. En revanche, concernant la vaccination et sur un plan purement éthique, j’aurai peut-être souhaité que chaque député se soit fait vacciner dans sa wilaya, en guise d’esprit de solidarité avec la population qu’il représente. Là, j’estime que cela est un manquement moral.

 

OT : Avant de conclure, si l’on venait à comparer la situation en Algérie par rapport à d’autres, sévissant à travers le monde…

 

Pr Mohamed Boubekeur : jugez-en par vous-même. Plus de 500.00 morts aux USA, la barre des 60.000 morts est dépassée en Iran, près de 87.000 en France, le Brésil avec près de 255.000 décès, l’Inde qui avoisine les 160.000, morts, pour ne citer que ces pays là, sans parler de la situation dramatique dans les pays voisins.

Des chiffres effrayants, vous en convenez. En Algérie, on doit s’estimer chanceux et considérer que notre stratégie politique prônée par l’Etat algérien a été payante en termes de lutte contre la pandémie et la sécurisation de la santé publique. Donc, on ne peut que s’en réjouir. Il n’empêche que, comme cité plus haut, on ne doit en aucun cas baisser la garde, surtout que des variants sud africain, brésilien et japonais ont fait leur apparition et peuvent échapper au dépistage.

La baisse des cas de contaminations et du taux de mortalité, sont des signes annonciateurs de l’efficience de la stratégie politique adoptée jusque là, voilà pourquoi, je plaide pour une consolidation des acquis par une consultation plus restreinte entre le comité scientifique et les professionnels de la santé, avec à la base un travail épidémiologique de fond. Aujourd’hui, l’Algérie relève le défi et est capable de vacciner ses 43 millions d’habitants, du moins ceux qui le souhaitent.
Entretien réalisé par Karim.B

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