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Mohamed Doubla, dernier des signataires du Manifeste Fraternité Algérienne, de 1955 tire sa révérence

Mohamed Doubla, dernier des signataires du Manifeste Fraternité Algérienne, de 1955 tire sa révérence Chaque jour qui passe le collier de perles que constituent les figures notables de la ville se désenfile un peu plus ; le 3 juillet 2023, c’était Mokhtar Boughrassa qui nous quittait ; le 13 octobre courant, ce fut au tour de son ami, Mohamed Doubla de payer son tribut à la vie qu’il a tant aimée.

Le silence assourdissant qui a injustement entouré sa disparition m’a incité à honorer sa mémoire par la contribution de ce modeste papier, c’est le moins qu’on puisse faire à une figure du monde de la culture et du barreau à de son envergure. Maître Mohamed Doubla n’est pas une « personna incognita » à Oran. Déja en décembre 1955, est créé sous le nom de « réseau Claude», un groupe de réflexion et de concertation composé de libéraux et de nationalistes oranais. Ce réseau va de proche en proche prendre l’allure d’un mouvement civico-politique regroupant des hommes de bonne volonté issus de la société civile oranaise toutes communautés confondues représentée par divers courants politiques (mouvement national, sensibilité communiste, libéraux chrétiens et juifs, syndicalistes, etc…). Mohamed Doubla, à peine âgé de 24 ans, se lance corps et âme dans cette mouvance qui secouait alors la ville. Ce groupe va initier également la création de « Fraternité Algérienne », un mouvement contre la guerre et la négociation avec les représentants légitimes du peuple algérien. « Fraternité Algérienne » va être publiquement connue par la publication dans Oran-Républicain de l’appel dit « Manifeste Fraternité Algérienne », signé par 198 signataires dont 72 algériens, hommes et femmes dont beaucoup vont devenir d’importants militants et combattants de la guerre de libération nationale : parmi lesquels : Mohamed Nekkache; médecin, Tami Medjebeur, médecin ; Mohamed Belbegra, avocat ; Mohamed Abed, avocat ; Mohamed Benahmed, commerçant ; Houari Souïah, représentant; Boomédiène Dellal, employé ; ainsi que trois valeureuses filles de la ville : Khadidja Khadir, professeur ; Yamina Zaanane, professeur ; Yamina Tehami Yamina, sage-femme ; et parmi ces derniers, un jeune clerc de notaire, Mohamed Doubla y figure comme «employé ».

Parmi les signataires du Manifeste figuraient Marc Ferro et son épouse Yvonne, le séjour de Marc Ferro à Oran en octobre 1993 fut pour l’historien un moment de très grande émotion qui lui a permis de retrouver certains de ses amis du mouvement Fraternité Algérienne; notamment Ahmed Benahmed, dit commandant Si Moussa et Hadj Mohamed Doubla, les derniers survivants de cette fiévreuse époque.

Né le 3 avril 1932 à Oran de parents de condition modeste comme la majorité des habitants de Khouchet Bendaoud où il vit le jour et qui fut de nombreuses personnalités oranaises du monde de la culture, comme le regretté dramaturge Abdelkader Alloula ou l’écrivain Mohamed Belhalfaoui.
Comme tous les enfants de son quartier, il fréquenta l’école Pasteur qui a été la pépinière du mouvement national et qui adonné de nombreux martyrs à la Révolution : Hamou Boutlélis, Ahmed, Zabana, Kacem Zeddour-Brahim, Cherfaoui Ali…, et bien d’autres.

Il a 13 ans, lorsque les grandes manifestations du 1er mai 1945 à Oran le surprennent en pleine adolescence, et c’est à ce moment qu’il prend conscience de son appartenance à un peuple et s’éveille en lui le sentiment d’appartenance à une véritable nation.
Comme la très grande majorité des enfants scolarisés de l’époque, l’accès à l’apprentissage de la langue arabe était quasiment impossible, même avec l’existence de Medraçat El Falah à l’époque.
Cette lacune indépendante de sa volonté la grande déception de sa vie ; il en ressentit tout le poids lors de l’exercice de son métier d’avocat.

N’étant pas de père naturalisé français, il passe en 1948, à 16 ans avec succès son certificat d’études primaires au titre indigène. Bien que Hadj Mostefa, son père gagnait bien sa vie ; il fallait donc au jeune homme d’aider sa famille à faire face à la cherté de la vie qui a suivi les années de rationnements dus à la guerre.

Le jeune homme, son CEP en poche, s’emploie tout d’abord dans le cabinet d’huissier de Me Mohamed Brachemi- Meftahcomme coursier qu’on appelle communément dans le jargon des huissiers et des avoués, un saute-ruisseau.
Après quelques années passées auprès de Me Brachemi- Meftah, il acquit très vite une modeste expérience de la pratique juridique qu’il consolide par sa participation comme auditeur libre au Centre d’Études Juridiques qui venait d’être créé à Oran en décembre 1955 ; ce qui lui permit de solliciter par la suite un poste d’officier ministériel qu’il obtient ; mais avec résidence à Béchar, là, où aucun Européen ne voulut y aller.
Ces années passées à Béchar lui ont permis de faire un peu d’argent tout juste pour acheter une Simca Aronde P60 et de se marier en 1959.
L’année suivante, il quitte Béchar et revient à Oran où il retourne à l’étude de Me Mohamed Brachemi-Meftah ; mais cette fois-ci comme clerc principal d’huissier.
Occasion qui lui permet de reprendre ses cours de droit, toujours en auditeur libre.
Les années 1960-1961 sont des périodes charnières de la réorganisation de l’OPM/ FLN d’Oran.
Remarqué pour son sens de la discipline et son patriotisme, « Si Abdelhamid » l’intègre à son réseau et lui sert d’agent de liaison et le transporte dans toute la ville dans sa propre voiture, pour passer inaperçus, ils portaient tous le deux qui un chapeau, qui un béret ; ainsi, ils ont l’air de paisibles représentants de commerce européens ; en plus, la parfaite maîtrise de la langue française, ajoutée à son bagou juridico-administratif leur permettaient de passer sans difficulté les points de contrôle de l’armée.

Dans la nuit du 25 au 26 juin 1961, n’étant pas présent auprès de « Si Abdelhamid », il échappe par miracle à un accrochage au quartier des Planteurs qui se solda par l’arrestation du chef de réseau et de son groupe de fidaïyine.

Au lendemain de l’indépendance, dans le cadre de la réorganisation de la magistrature algérienne, Mohamed Doubla est appelé avec Nourredine Beghdadi à occuper l’un et l’autre la fonction de substitut du procureur de la République près le tribunal de grande instance d’Oran.

En 1968, Mohame Doubla est nommé à Tlemcen où il travaille avec Mustapha Kara-Terki, cadi-juge à la Mahakma de Tlemcen, où il venait d’être nommé juge au tribunal d’instance de Tlemcen, les deux hommes s’entendent à merveille et partagent la même passion pour la poésie populaire.
En plus Mustapha Kara-Terki avait transmis à Doubla de nombreuses anecdotes sur les Juifs de Tlemcen dont il était l’un des rares musulmans à connaître parfaitement leurs pratiques culturelles et religieuses.
Sa double qualité d’ancien clerc et d’ancien moudjahid lui permit de s’inscrire à la faculté de droit, dont il fut parmi les premiers diplômés.
Dès les premières années de sa fonction de jeune substitut du procureur, le défunt s’était rapidement fait remarquer par tant par ses qualités tant humaines que professionnelles ; en plus, sa personnalité attachante et son amabilité, lui valut une solide réputation d’inégalable anecdotier qu’il s’est forgée auprès de vieux avocats et magistrats tant Algériens qu’Européens, tels que: d’abord à Tlemcen avec Mustapha Kara-Terki, et à Oran avec Kerras Mohamed, Abdelhamid Benchehida, M’hamed Ferhat, Boumédiène Fardeheb; Mohamed, Tilikète Abdelkader Boutaleb, Mostéfa Bourokba Abdelmadjid Messaoud-Nacer, Me Marius Luglia, Me Paul Bouaziz etc.

Le 21 juillet 1962 fut formée la Délégation Spéciale de la ville d’Oran ayant comme Président l’avocat du FLN et ami de Jacques Vergès, Maître Abdessamad Benabadallah, dans cette formation Mohamed Doubla sera chargé des affaires culturelles ; et, c’est à ce titre qu’il relance avec les moyens du bord la vie culturelle à Oran.
L’une de ses premières initiatives fut la réouverture du Conservatoire municipal en faisant appel Gilles Achache enseignant et musicien et encouragea en 1963, Mme Chayet, l’épouse du consul général de France à Oran pour ouvrir la première bibliothèque du futur Centre culturel français d’Oran.

Homme affable et courtois, Mohamed Doubla avait gardé un contact étroit avec les activités associatives, notamment, celles liées à l’histoire ou au barreau.
Il ne ratait jamais les réunions de l’Association des Anciens résistants et ayants droits dont il était membre fondateur, où il ne ratait jamais ses réunions, en compagnie de ses inséparables amis : Abdelkader Boudraa, Mokhtar Boughrassa, Houari Blaoui et Khatir Benbouha ; ainsi que la section d’Oran de la Fondation Émir Abdelkader à laquelle il s’était tant dévoué.

Il faut dire que depuis son plus jeune âge Mohamed Doubla était doué d’une vivacité d’esprit hors du commun, avide de connaissances et d’une grande curiosité intellectuelle.
En dépit de l’affection cardiaque qui a nécessité une intervention chirurgicale, il ne cessa de parcourir les librairies et assister à toutes les rencontres culturelles, notamment celles relatives à l’histoire de l’Algérie.
Son opération, devenue handicapante pour la profession qu’il exerce, l’oblige à céder son cabinet à sa fille, avocate ; et se consacrer chez lui à la lecture.
Un jour, il me fit part de son admiration pour la Collection de la Revue Africaine dont il venait de découvrir toute la richesse et la qualité des contributions.
Il s’était même lancé dans un projet d’écriture de l’histoire de l’organisation judiciaire d’Oran, dont il me demanda, en qualité d’historien de l’aider à rassembler la documentation nécessaire ; ce à quoi il était en train de s’atteler lorsque la mort l’a surpris.
Sur le plan moral, il avait son francparler et dire tout haut ce que beaucoup pensait tout bas.
Cette franchise, l’avait desservi en 1992 lors de la discussion sur le choix du futur président de la DEC d’Oran.
Parallèlement à son intense activité d’avocat, son nom reste étroitement associé à l’activisme associatif ; d’abord en tant qu’avocat membre du barreau d’Oran dont il est la cheville ouvrière, en organisant la cérémonie en 2011 en hommage à maître M’hamed Abed assassiné par l’OAS en 1961, ou à l’organisation des différentes promotions d’avocats du barreau d’Oran, notamment celle de 2010 durant laquelle fut invité Jacques Vergès grande figure des prétoires et militant actif de la cause nationale.
Mais c’est au sein de la Section d’Oran de La Fondation Émir Abdelkader qu’il apporta toute son énergie.

De son vivant Hadj Mohamed Doubla a su attirer l’estime et l’affection de tous ceux qui ont eu le bonheur de l’approcher.
Son affabilité et sa parfaite courtoisie avaient su conquérir l’estime de tous ceux qui l’ont connu.
Il faut reconnaître qu’avec sa disparition c’est un pan entier de la mémoire d’Oran qui s’en va.

Adieu l’ami, tu restes présent dans nos coeurs et dans nos pensées.

Par Sadek BENKADA

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