
Benjamin Stora s’exprime sur le conflit mémoriel algéro-français : «La reconnaissance officielle par la France des crimes coloniaux est une étape nécessaire»
Le problème des sources se pose dans le sens d’une garantie d’accès aux documents qui permettraient d’établir une narration partagée sans nier les traumatismes vécus par des générations d’Algériens.
Benjamin Stora a affirmé dans un entretien qu’il a accordé à la chaîne de télévision AL24 News que la France est dans l’obligation de reconnaître les crimes commis durant la période coloniale en Algérie. L’histoire a rappelé que les massacres d’Algériens et la dépossession des terres représentent un pan de l’histoire encore trop souvent occulté dans l’espace public français. Cette position s’inscrit dans un contexte où des cercles politiques et des partisans de l’Algérie française s’efforcent de remettre en cause ce qu’il appelle de ses vœux «une mémoire partagée et apaisée». Pour Stora, ce travail mémoriel ne peut être improvisé. Il exige une construction patiente de ponts entre les deux rives, fondée sur l’histoire et une accessibilité complète des archives.
Le dossier de la mémoire, selon M.Stora, a connu ces dernières années des avancées sensibles. Mais ces avancées n’ont pas suffi à dissiper les tensions. Il souligne notamment le lancement par le Président Abdelmadjid Tebboune d’une Commission mixte algéro-française Histoire et Mémoire, organisme destiné à faciliter le dialogue et à clarifier les faits, afin d’éclairer les publics des deux côtés de la Méditerranée. Cette initiative, plus que symbolique, est présentée comme un cadre pour le partage des documents d’archives et pour favoriser une interprétation commune des épisodes douloureux de la colonisation.
Sur le fond, Stora rappelle une chronologie tragique allant de 1830 à 1962, marquée par la dépossession des terres et les violences qui ont frappé la population algérienne. « Les crimes contre l’humanité », a-t-il dit, ne sauraient être relégués au rang d’épisodes secondaires ou confinés à des manuels scolaires inadaptés. Il a déploré dans le même entretien que, dans l’espace public français, la période coloniale et les exactions qui l’ont jalonnée continuent trop souvent à souffrir d’un silence complice. La reconnaissance officielle apparaît pour lui comme une étape nécessaire pour permettre une réconciliation qui tienne compte des faits historiques et des souffrances des populations concernées.
L’interview a mis aussi en lumière les difficultés rencontrées par les chercheurs et par les responsables politiques qui souhaitent ouvrir les archives à l’étude comparative et transparente. Le problème des sources se pose dans le sens d’une garantie d’accès aux documents qui permettraient d’établir une narration partagée sans nier les traumatismes vécus par des générations d’Algériens. Pour Stora, la question des archives est centrale. Sans accès, sans transparence, le travail historique ne peut que rester partiel et susceptible de manipulation.
Benjamin Stora a été, rappelons-le, fortement critiqué par des courants d’extrême droite et par des nostalgiques de « l’Algérie française », qui contestent non seulement les écrits mais aussi les conclusions qui en découlent. Face à ces attaques, l’historien réaffirme son engagement en faveur d’un « travail sur l’histoire » qui dépasse les postures idéologiques et s’inscrit dans une logique de vérité et de réconciliation. Il ne s’agit pas d’un accord politique instantané, insiste-t-il, mais d’un processus lent qui suppose des concessions mutuelles, des clarifications et, surtout, l’acceptation des faits tels qu’ils se sont déroulés.
Maintenant, avance-t-il, il faut « voir ce qu’on peut faire » pour rétablir les faits et la vérité sur l’occupation française de l’Algérie. Cela implique notamment la consolidation d’un cadre institutionnel capable d’animer le dialogue mémoriel, de favoriser l’accès égalitaire aux archives et d’encourager une éducation qui ne masque pas les blessures du passé. L’objectif, selon lui, est de créer une mémoire accessible et compréhensible par les Français comme par les Algériens, afin que les deux pays puissent construire, sur des bases plus solides, une relation fondée sur la reconnaissance des torts et sur un futur commun.
A travers son témoignage, Stora trace les contours d’une approche réaliste et exigeante de la mémoire. Celle-ci suppose un volontarisme politique, une responsabilité civique et une volonté de dépasser les polarisations. Il appelle à une « reconstruction de l’histoire » qui soit intelligible pour les citoyens des deux rives et qui rende incompressibles les leçons tirées du passé. En somme, pour lui, la mémoire partagée ne peut être réduite à une simple question de devoir moral: elle est le socle indispensable d’une réconciliation durable, dans laquelle les archives, les voix des témoins et les conclusions des historiens doivent dialoguer de manière ouverte et continue.
Stora a aussi déclaré que «la France et l’Algérie sont condamnées à s’entendre de par leur Histoire et leur géographie», soulignant qu’»il n’est pas possible que la France se désintéresse de ce qu’est l’Algérie, ce pays continent», ajoutant «naturellement, les relations entre les deux pays seront reprises. Chaque crise est une opportunité de tirer des leçons et de repartir sur d’autres bases», a-t-il soutenu. Pour l’historien français, ces nouvelles fondations doivent se baser sur l’acceptation par la France de la «souveraineté algérienne» et de son «nationalisme».
Nadera Belkacemi



