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Des milliers de constructions non régularisées et des décennies de litiges à Aïn El Türck : une commission de wilaya missionnée par le wali d’Oran pour un état des lieux

Dans la daïra d’Aïn El Türck, la situation foncière devient critique. En dépit de l’entrée en vigueur, depuis 2008, de la loi 08/15 visant à régulariser les constructions sans permis de bâtir, des milliers de propriétaires demeurent toujours sans titres de propriété.

Face à ce retard inquiétant, le wali d’Oran a décidé de missionner une commission de wilaya, spécialisée dans les affaires d’urbanisme, afin d’établir un état des lieux précis et de tenter de remettre en marche un processus à l’arrêt.
Si Aïn El Türck accuse un retard aussi prononcé dans l’application de la loi 08/15, ce n’est pas sans raisons. Le territoire est gangrené par un contentieux foncier datant de plusieurs décennies, qui remonte à l’époque des Délégations Exécutives Communales (DEC). Mal encadrées, ces affectations ont laissé place à une situation juridique floue, mêlant absence de documents cadastraux, chevauchement de droits de propriété et gestion opaque par des présidents de coopératives non reconnus par l’administration. C’est notamment le cas dans le quartier de Bouisseville, situé sur les hauteurs de la commune d’Aïn El Türck, où pas moins de 11 coopératives immobilières sont dans l’impasse. À elles seules, elles regroupent plus de 1 200 villas, construites sans permis ou sur des terrains dont la situation foncière n’a jamais été régularisée.
«Nous vivons dans des maisons que nous avons achetées ou construites il y a plus de vingt ans, mais nous n’avons aucun titre de propriété. Impossible de vendre ni d’hériter ou de permettre à nos enfants, la succession», témoigne un habitant du secteur. L’absence de cadre légal a permis l’émergence d’un système parallèle de gestion, souvent opaque et source de nombreux abus. Plusieurs présidents de coopératives, sans mandat légal, continuent à agir comme des gestionnaires officiels, imposant aux résidents des frais supplémentaires pour des travaux de voirie, d’assainissement ou de branchement, parfois fictifs.
«On nous réclame des millions pour des travaux dont nous ne voyons jamais la couleur. Et quand on demande des comptes, il n’y a aucun document officiel. C’est un système mafieux », déplore un autre résident.
Ce flou juridique a également des conséquences humaines : de nombreux propriétaires initiaux sont aujourd’hui décédés, sans avoir pu transmettre légalement leur bien à leurs héritiers. D’autres se retrouvent victimes d’escroqueries, vendant ou achetant des biens dont la propriété reste juridiquement contestable.
Du côté de la daïra d’Aïn El Türck, l’administration peine à suivre. Selon des sources proches du dossier, plus de 5 000 demandes de régularisation sont actuellement en instance. Un volume considérable, d’autant plus difficile à traiter qu’il s’agit majoritairement de dossiers complexes, incomplets ou entachés de litiges. « L’administration locale a hérité de cette situation sans réellement disposer des moyens, ni humains ni juridiques, pour la résoudre », confie un cadre de la wilaya. La commission de wilaya, qui entrera en action dès la semaine prochaine, aura pour mission de dresser un état des lieux global de la situation foncière dans la daïra. Les chefs de daïra et les présidents d’APC concernés ont été instruits de fournir dans les plus brefs délais les documents nécessaires, afin de permettre à la commission d’identifier les priorités et de proposer une feuille de route.
Pour les habitants concernés, l’arrivée de cette commission représente un espoir longtemps attendu. « Cela fait plus de trente ans que nous vivons dans l’incertitude. Il est temps que les autorités prennent les choses en main », lâche une résidente de Bouisseville. De nombreux citoyens espèrent que cette mission ne se limitera pas à un simple diagnostic, mais qu’elle débouchera sur des mesures concrètes : publication des listes de bénéficiaires légaux, assainissement des coopératives, régularisation cadastrale, ou encore le lancement d’opérations de titration à grande échelle. La mission s’annonce difficile, mais elle pourrait marquer un tournant dans la résolution d’un contentieux foncier devenu un véritable frein au développement urbain et social d’Aïn El Türck. Les moyens seront certainement à la hauteur de l’urgence comme en témoignent l’intérêt et la détermination des pouvoirs publics à en découdre avec ce dossier qui risque au passage de dévoiler certaines surprises, voire des malversations commises en matière de spéculation foncière et d’enrichissements personnels. En effet, il serait question de la vente de plusieurs lots de terrain initialement prévus en tant qu’espaces verts ou pour l’accueil d’équipements de base, à de tierces personnes.

Karim Bennacef

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