De par sa profondeur africaine et fidèle aux principes et objectifs de l’organisation panafricaine, l’Algérie s’est encore une fois illustrée, lors des deux journée du 31 mai et du mardi 1er juin, à Midrand en Afrique du Sud, théoriquement consacrées à l’élection du président du parlement panafricain (PAP), par une position ferme sur le mode de scrutin adopté jusque là, jugé en tous points, inadéquat et surtout défavorable à nombre de régions, dont l’Algérie, selon le Professeur Boubekeur Mohamed, parlementaire et membre de cette institution, représentant l’Algérie.
Une position, qui a permis, confie-t-il, avec la contribution d’autres voix, dont celle de l’Afrique du Sud, d’arrêter le processus électif, jusqu’à sa future reconduction prévue en août ou septembre, voire octobre, fort probablement à Addis Abeba (Ethiopie). Dans cet entretien, le Pr Boubekeur, dévoile quelques aspects des enjeux et coulisses qui prédominent dans le fonctionnement actuel du parlement panafricain «plombé» dans une certaine mesure par quelques pays lobbyistes à souhait et dont l’interminable main mise sur cette institution, est des plus rocambolesques. Ecoutons-le :
Ouest Tribune : le sujet de la présidence tournante à la tête du parlement panafricain continue d’envenimer les débats. Pour preuve, les élections prévues la fin du mois de mai dernier à Midrand en Afrique du Sud, ont tourné au fiasco, le processus a été reporté à une date ultérieure. Qu’en est-il au juste ?
Pr Mohamed Boubekeur : en effet, la contestation de nombre de régions, dont l’Algérie, a été vive. L’iniquité qui caractérise le mode électif actuel pour la présidence du « PAP», ne laisse aucune chance à de nombreux pays de se porter à la tête de cette institution. La présidence et la vice-présidence ont toujours été détenues par des francophones car le parlement est représenté beaucoup plus par une majorité de la francophonie, donc moins d’anglophones; cet état de fait ne pouvait plus durer et a conduit à la protestation ayant conduit à la suspension du processus électoral, même si cela été houleux. Quoiqu’il en soit, nous, la partie algérienne, avions respecté à la lettre la stratégie politique dont nous avions été investie par les hauts responsables du pays et édictées lors de notre réunion avec le président du sénat et les responsables du ministère des Affaires étrangères. A l’instar de l’Afrique du Sud, nous avions réclamé que soit instauré le système de rotation pour la présidence du « PAP » et mettre fin à ce dysfonctionnement, pour ne pas dire ineptie, inacceptable, qui favorise certains pays de la francophonie, en vérité toujours les mêmes, depuis de belles et longues années, au détriment d’autres. Ces mêmes pays se sont accaparés durant toutes ces années de la présidence et de la vice-présidence, en imposant leur diktat absolu.
Ouest Tribune : l’on comprend par là, que les jeux de coulisses ont été intenses, les alliances se sont faites et défaites au gré des intérêts pas toujours innocents de la totalité des pays hostiles à la présidence tournante ?
Pr Mohamed Boubekeur : étant un outil diplomatique au pouvoir puissant, des pays ont voulu faire du Parlement Panafricain, un outil d’instrumentalisation dans le traitement de certaines causes objets de conflits régionaux. A titre d’exemple, le Maroc a tout fait pour faire basculer les élections en sa faveur, souhaitant faire passer la candidate malienne. La malienne, c’est la francophonie. En l’élisant, ils avaient ainsi tout le pouvoir, ce qui était forcément en notre défaveur. Nous avons réussi à contrecarrer ce stratagème, du fait que le parlement malien était officiellement dissous suite au coup d’Etat au Mali. Le Maroc a fait cavalier avec l’Egypte. Ce dernier pays ne s’était pas réellement positionné en faveur de la rotation. Le malentendu s’est par la suite estompé suite au rapprochement établi et avec lesquels on a fini par avoir une bonne entente. Les Tunisiens ont compris notre approche diplomatique, et ont promis de soutenir notre position à l’avenir ; nos relations avec les Mauritaniens sont parfaites. La Mauritanie a pris position avec nous, car nous avions proposé la parlementaire mauritanienne comme vice présidente de la francophonie. Le Sahara occidental nous a soutenu, sans parler des alliances avec les Libyens, auxquels nous avions proposé la vice- présidence du caucus pour leur parlementaire. Les Sud Africains, ont été d’une bravoure légendaire, et ont grandement contribué à nos cotés, à l’arrêt du processus. « No rotation, no vote », tel est leur leitmotiv.
Ouest Tribune : au delà des accointances politiques des uns et des autres, qu’est ce qui, mécaniquement, permet à des régions de toujours pouvoir garder l’hégémonie sur le parlement panafricain ?
Pr Mohamed Boubekeur : le parlement africain est composé de 55 pays, il est partagé en caucus, ce sont des régions, l’Afrique australe, l’Afrique de l’Est, l’Afrique du nord, l’Afrique du Sud et la diaspora internationale. Dans le caucus, vous avez cinq représentants. Le caucus nord- africain comprend l’Algérie, la Mauritanie, le Sahara occidental, la Tunisie, le Maroc, l’Egypte et la Libye. Ce parlement est indépendant, il est en coordination avec l’Union africaine. Il est consultatif. Selon les accords de Maputo et de Malibu, il deviendra législatif, c’est-à-dire qu’il a un pouvoir de force, très important. Le dernier président par intérim, était Algérien, l’ex député Mr Bouras. Quand ont est arrivé aux élections, il a tenu la présidence pendant un an. Ceci à titre d’information. Maintenant, l’élection du président panafricain et le vice président, fait ressortir toujours les mêmes pour les raisons suivantes : prenez par exemple le caucus de l’Afrique Centrale qui en compte 14 et celui de l’Afrique de l’Est, 15 ; avec un total de 29, ils détiennent la majorité, de ce fait, la rotation devient impossible. Ce déséquilibre va encore plus loin, en termes de répartitions des sièges par rapport aux populations; le Lesotho avec 200.000 habitants a droit à 5 sièges, et nous l’Algérie, avec 43 millions d’habitants, nous en avons le même nombre de sièges que le Lesotho, soit 5 sièges également; cela est anormal. Les Seychelles, comptent 2 millions d’habitants, ils sont dotés de 5 sièges et sont intégrés dans l’Afrique de l’Est et dans l’Afrique centrale. Où est le bon sens, où est la normalité ? Voilà ce qui explique pourquoi la francophonie domine, que certains caucus dictent leurs lois et que d’autres en subissent les conséquences.
Ouest Tribune : qu’est-il reproché au président sortant du « PAP », le camerounais Roger Nkodo Dang qui a effectué deux mandats de trois ans à la présidence depuis 2015 ?
Pr Mohamed Boubekeur : personne n’ignore que Mr Roger Nkodo est politiquement plus proche du Maroc, il a d’ailleurs tout fait pour éloigner l’Espagne du dossier du conflit entre le Sahara occidental et le Maroc. C‘est son droit de prendre position pour tel ou tel pays. L’Algérie, son seul souci, est de s’assurer qu’il n’y ait plus d’injustice et de discrimination dans le fonctionnement du parlement panafricain et la seule manière d’y arriver est d’aboutir à cette rotation qui permettrait à chaque nation d’être réhabilitée dans ses droits de gouvernance. Ceci dit, nous ne sommes pas contre les Marocains, mais contre leur politique qui est offensive envers l’Algérie. Pour l‘intérim, nous avions pensé à favoriser la candidature du Zimbabwe, un pays ami et frère de l’Algérie, pour la présidence du « PAP », en attendant que cela fasse le tour.
Ouest Tribune : Ce n’est donc que partie remise, ces élections ? L’Algérie s’en est-elle sortie grandie ou diminuée?
Pr Mohamed Boubekeur : incontestablement l’Algérie en est sortie grandie. La Mauritanienne a eu le siège de la vice-présidence du caucus en attendant les prochaines élections. L’Union Africaine, a envoyé un courrier dans lequel elle recommande d’aller vers une rotation, afin de permettre à toutes les régions d’accéder à la présidence du parlement pour plus d’équité. Les Sud Africains maintiennent « no rotation, no vote ». L’Algérie a été très influente dans l’arrêt du processus, tout en réclamant une rotation et des élections équitables. Maintenant, le processus peut changer, si l’Union Africaine (UA) met son veto et l’on peut ainsi aboutir à la solution d’une élection avec une rotation. A Addis- Abeba, on ne sait pas comment les choses vont évoluer. L’essentiel, est de dire que l’Algérie a réussi à asseoir sa stratégie politique.
Karim.B