
«Les Amants d’Alger» : la beauté fragile d’un film né de l’obstination
Présenté hors compétition au Festival du film arabe d’Oran, «Les Amants d’Alger» de Mohamed Ketita a bouleversé le public de la salle Es-Saâda.
Derrière cette œuvre sobre et poétique se cache un long parcours de persévérance, celui d’un cinéaste déterminé à faire revivre une histoire d’amour interdite née sous la colonisation, et d’un écrivain désireux d’en préserver la mémoire. Le long-métrage, inspiré d’un récit authentique, retrace la passion contrariée entre Dahmane, un jeune Algérien, et Amélie, issue de la communauté européenne d’Alger.
Une idylle que l’histoire et les conventions condamnaient d’avance. Si cette trame évoque d’emblée les fractures de l’époque coloniale, elle se déploie ici dans un décor transposé à la Guerre de Libération, une licence artistique pleinement assumée par Ketita. «L’anachronisme est volontaire», explique-t-il. «Le cinéma ne copie pas le réel, il le réinvente pour mieux le faire ressentir». Ce choix confère au récit une intensité politique et émotionnelle nouvelle, transformant une romance intime en allégorie universelle sur la résistance et la liberté. L’origine du projet remonte pourtant à une aventure littéraire. C’est dans les années 2000 que l’écrivain et journaliste Youcef Dris avait redonné souffle à cette histoire familiale à travers son roman Les Amants de Padovani, publié en 2004 aux éditions Dalimen. Le titre, emprunté à une plage mythique d’Alger, aujourd’hui El Kettani, renvoyait déjà à cette idée de lieux traversés par le souvenir. L’auteur, également scénariste du film, a vu son texte transformé pour l’écran tout en conservant la force du vécu et des photographies d’époque qui ponctuent la narration. Ces clichés réels, insérés dans le film, renforcent le sentiment d’authenticité et rappellent la frontière ténue entre la fiction et la mémoire. Mais si “Les Amants d’Alger” n’a pas figuré en compétition officielle, c’est pour des raisons purement techniques. «Les sélections étaient closes bien avant que le film ne soit finalisé», précise Ketita. Le montage s’est achevé seulement en septembre dernier, après plusieurs années de travail interrompues par des difficultés financières et logistiques. Le réalisateur confie avoir dû composer avec un budget modeste, «quelques dizaines de millions de dinars » accordés par le ministère de la Culture, une somme dérisoire au regard des exigences de l’industrie cinématographique. Malgré ces contraintes, le cinéaste a pu s’appuyer sur la passion de ses comédiens. Parmi eux, une actrice étrangère a accepté le rôle principal après avoir été frappée par sa ressemblance physique avec Amélie, l’héroïne du roman. « C’était comme une évidence», raconte Ketita. « Elle incarnait à la fois la fragilité et la force du personnage, sans artifice. Si l’auteur du roman n’a pas assisté à la projection, retenu par le Salon international du livre d’Alger où il présentait une autre œuvre, Youcef Dris n’en demeure pas moins comblé. Voir cette histoire d’amour renaître à Oran, sa ville de cœur, dans le cadre d’un festival arabe, résonne pour lui comme un aboutissement. «C’est une émotion particulière », a-t-il confié à distance.
«Cette histoire prouve que l’amour peut traverser les époques, les frontières et les préjugés». À travers «Les Amants d’Alger», Mohamed Ketita signe bien plus qu’un film historique : un acte de mémoire et de résistance artistique. En revisitant le passé colonial à la lumière du combat pour l’indépendance, il questionne le prix de la liberté et la force des sentiments dans les sociétés fracturées. Et, malgré la modestie de ses moyens, il offre à l’écran une œuvre sensible, à la fois intime et universelle, où la beauté du geste rejoint la rigueur du témoignage. Le public oranais, ému, a salué la sincérité du propos et la justesse du jeu. À l’heure où le cinéma algérien peine encore à conjuguer mémoire et création, “Les Amants d’Alger” rappelle que les plus grandes histoires naissent souvent dans le silence des oubliés, et dans la patience obstinée de ceux qui refusent qu’elles disparaissent.
Nassim.H



