Le Pr Boubekeur Mohamed, sénateur et chef de service à l’EHU Oran en exclusivité à Ouest Tribune:
«Les dossiers de la contractualisation et des grands brûlés n’avancent pas !» (2ème partie)
Dans cette 2ème partie de l’entretien accordé à Ouest Tribune, le Pr Boubekeur Mohamed, sénateur et chef de service à l’EHU « 1er novembre » d’Oran, relance le débat sur les dossiers de la contractualisation et des grands brûlés, jugés à son sens primordiaux, mais souffrant d’un manque d’intérêt de la part des responsables du secteur. Ecoutons-le :
Ouest Tribune : Avant d’aborder le chapitre de la contractualisation, parlez-nous, Pr Boubekeur, de celui des grands brûlés.
Pr Boubekeur Mohamed : Les brûlés à Oran posent un grand problème. Je l’ai souligné à plusieurs reprises, ils souffrent énormément, ils sont actuellement dans un espace réduit, dans des conditions affreuses au niveau de l’EHU. Nous les prenons en charge par nos personnels, donc on sacrifie du personnel pour un secteur qui ne nous appartient pas et qui dépend en principe du CHU . On ne peut pas leur donner le confort qu’il faut, alors qu’à côté il y a un hôpital des grands brûlés de 120 lits. L’Algérie a dépensé de l’argent pour sa réalisation. Pourtant, on les avait prévenus à la wilaya, en leur disant que 40 à 60 lits, c’était largement suffisant , parce qu’il faut savoir qu’ un espace pour un brûlé, c’est tout un hôpital. Quand vous allez par exemple à Lyon ou dans la région parisienne, ils ont 20 lits et 5 à 6 personnels infirmiers par malade, sans compter les médecins spécialistes. Nous, nous n’avons pas tous ces personnels. Qu’est ce qu’ils peuvent faire ? C’est pour cela que les malades meurent. J’ai demandé à ce que les malades soient transférés vers l’hôpital des grands brûlés mais pour des réserves minimes, la DSP ne fait rien. Pourtant, le ministre était venu à Oran, il y a 5 ou 6 mois, il a inauguré l’hôpital, il a émis quelques réserves et depuis rien du tout. Entretemps des malades meurent. Le président de la République avait bel et bien dit qu’il faut construire des centres pour les grands brûlés à Annaba, Constantine, Alger et à Oran. Sauf que jusqu’à aujourd’hui, la DSP à Oran n’a pas encore réglé le problème des réserves et le ministère, non plus, n’est pas encore intervenu pour le régler. En somme, le dossier stagne. Pourquoi ? L’on préconise, si une catastrophe venait à survenir, d’emmener les brûlés à la clinique centrale à Alger. Comme solution palliative, on a affrété des hélicoptères pour les Hauts Plateaux et le Sud et l’on déclare que le problème est ainsi réglé avec l’installation du transport aérien. D’accord, mais quand il y a une catastrophe, comment faire pour ramener tout le monde ? Je trouve que c’est un mauvais raisonnement. Ça ne sert à rien.
Ouest Tribune : Des réserves, semble-t-il, ont été émises pour l’ouverture de l’hôpital de 120 lits pour les grands brûlés. Sont-elles levées ?
Pr Boubekeur Mohamed : En effet, pour les brulés, j’insiste fortement, et là j’interpelle le ministre de la Santé. Il avait dit qu’il viendrait mais il n’est pas encore venu, et il n’est pas question de laisser les malades dans ces conditions. Concernant les réserves, j’affirme qu’en une semaine on peut tout régler. Qu’est ce qui est le plus important ? C’est d’aller régler un problème de Trauma Center ou celui des grands brûlés ? Moi je dis qu’il y a des priorités. Ils ont décidé de prendre l’hôpital de Oued Tlélat, 120 lits et le transformer en Trauma Center, du fait qu’il est à côté du complexe sportif d’Oran et de l’autoroute. Ce que je réclame c’est que cet hôpital des grands brûlés ouvre.
Le Président de la République avait lui-même demandé d’ouvrir les centres des grands brûlés. Il faut savoir que cet hôpital a une vocation plus que régionale.
Les wilayas de Tindouf, Adrar, El Bayadh, Nâama, Saida, Sidi bel Abbès, Tlemcen, Oran, Tissemsilt et autres, en sont toutes tributaires. Vous vous rendez compte de son importance!
J’’estime que la responsabilité incombe à la DSP et au ministre de la Santé avec lequel j’ai maintes fois discuté du problème. Là, je tire la sonnette d’alarme, les malades meurent. Une dame de 38 ans, qui s’est brûlée les jambes, a succombé à ses blessures, c’est dramatique. La Coordination nationale des syndicats de la santé avait d’ailleurs observé une grève de 3 jours, car les malades n’ont pas pu être pris en charge et a donné au ministre de la Santé un délai jusqu’à la fin de décembre pour l’acceptation de ses revendications, faute de quoi, une nouvelle grève sera observée.
Ouest Tribune : Quelle a été votre proposition ?
Pr Boubekeur Mohamed : Comme cité ci-haut, j’ai proposé qu’au niveau de l’hôpital des grands brûlés, seuls 40 lits à 60 lits soient réservés aux malades.
C’est largement suffisant, et le reste on doit en faire un Trauma Center, car il est à proximité d’un carrefour, il y a l’héliport à l’EHU et la voie rapide qu’est l’autoroute.
Il y a une réflexion pour la création du Trauma Center qui peut être bénéfique non seulement pour les jeux méditerranéens afin de prévenir les accidents, et beaucoup plus pour la population oranaise car la ville est en train de s’étendre.
Quant à son emplacement, il vaut mieux qu’il soit à côté d’une autoroute, d’un héliport, d’un aéroport. Aussi, j’ai proposé de créer à côté du service des grands brûlés, un service de la chirurgie réparatrice plastique par un montage conjoint entre l’enseignement supérieur et le ministère de la Santé.
Ouest Tribune : Revenons au dossier de la contractualisation. En quoi consiste-t-il ?
Pr Boubekeur Mohamed : Par contractualisation, il est entendu que l’hôpital fonctionne avec ses propres fonds, donne des soins et fait rentrer de l’argent par la caisse. Mais pour cela, il faut que les caisses, en l’occurrence, le ministère de la sécurité sociale, les assurances, jouent le jeu. Ce sont donc les caisses et les mutuelles qui doivent prendre en charge les remboursements. A partir de là, les hôpitaux pourront commencer à souffler parce qu’ils auront commencé à faire rentrer de l’argent. Et c’est le malade qui aura tout à gagner dans cette affaire, parce qu’il aura le régime social remboursé totalement. L’hôpital qui ne fait plus rentrer de l’argent, n’est plus un hôpital compétitif. Il n’a aucune raison d’exister. Certaines dispositions doivent être prises, à savoir , la réévaluation du coût de la santé de l’acte, la révision du barème de remboursement qui remonte aux années 1960, et bien sûr une entente entre les ministères de la Santé, du Travail, de la Solidarité, etc, pour mettre en place tout ça. Cela n’aura aucune incidence négative sur le caractère social de la santé en Algérie, bien au contraire. Dans sa conception, l’EHU est un hôpital pilote ayant pour effet que tous les CHU aboutissent à la contractualisation. C’est une meilleure gestion pour tous les hôpitaux, car ça va permettre de générer des ressources financières conséquentes, régler les problèmes d’ordre financier et surtout permettre de travailler perpétuellement sans problème de budget.
Ouest Tribune : Pourquoi alors ce dossier n’avance pas ? Quelles en sont les conséquences ?
Pr Boubekeur Mohamed : Ça n’a jamais été appliqué pour la simple raison que chaque ministère a des préjugés faisant que la médecine sociale va disparaître, alors que c’est faux. La médecine gratuite n’est pas un problème, c’est constitutionnel, on n’y touche pas, elle est préservée. Les conséquences font qu’aujourd’hui on est en train de souffrir. Comment voulez-vous qu’avec un hôpital de la stature de l’EHU, avec près de 6.000 employés de divers grades, où l’on a déployé des spécialités importantes, on encaisse une subvention ! Les opérations de planification n’existent pas, il n’y a pas de scanner, l’IRM est en panne. Nous sommes en manque de moyens. On fait plus qu’il n’en faut avec des moyens rudimentaires. On fait de la chirurgie immunologique avancée, on traite des malades du cancer, on fait de la chirurgie gynécologique cancéreuse, etc. Tout ce qui est innovateur, on le fait. Il y a des professeurs émérites, parmi eux, certains sont membres de l’académie nationale. L’hôpital continue à fonctionner avec un secrétaire général ! Il s’agit quand même du premier établissement hospitalier universitaire d’Algérie qui subsiste dans le manque flagrant de moyens, c’est inadmissible ! A titre comparatif, le CHU a un budget attribué par le ministère de la Santé estimé à mille milliards, nous, nous avons un statut particulier, nous sommes une sorte d’EPIC, et ils ne peuvent pas régler ce statut. Le problème de la contractualisation, intéresse au plus haut point la santé publique et il est une priorité nationale. Et malgré cela, on ne le règle pas ! Autre chose qui me semble anormale, pourquoi dans le secteur public, signe-t-on des conventions qu’on rembourse à l’intégral alors que cela ne se fait pas pour l’EHU ? Savez-vous ce que coûte juste l’entretien du matériel ? Et là je ne parle pas de l’achat. En plus , il y a les droits pour les cancers, pour l’hématologie, pour les cardiaques, etc.
Ouest Tribune : Des assises seront prochainement tenues. Ne constituent-elles pas l’espace idéal pour parler des dossiers de la contractualison et des grands brûlés ?
Pr Boubekeur Mohamed : A quoi servent ces assises ? A chaque fois, il y a un nouveau gouvernement, à chaque fois on leur soumet le problème. Combien de fois n’ai-je pas interpellé, vainement, le ministère de la Santé pour un scanner ? Jusqu’à quand va durer ce problème ? Là, en tant que sénateur de la wilaya d’Oran, j’interpelle carrément le Premier ministre pour la contractualisation, je l’interpelle pour l’EHU d’Oran. Pour l’histoire, j’ai ramené le ministre du Travail, un ancien wali et le ministre de la Santé, on a tenu des réunions deux ou trois fois à El Bahia, tous ont été unanimes à dire que cela allait se régler . J’ai parlé deux fois avec l’ex Premier ministre Djerrad lors d’une réunion Sénat-gouvernement et il avait répondu qu’il n’y avait pas de problème . J’ai écrit à maintes reprises mais on ne veut pas appliquer la contractualisation. Il est vrai qu’il faut des mécanismes et des outils, qu’il faut plusieurs ministères et notamment celui du Travail, mais ce que je ne comprends pas, pourquoi signe-t-on des conventions avec des cliniques du secteur privé et on laisse le secteur étatique dans la souffrance. Et le plus grave dans tout cela, ils pensent que la contractualisation existe ! Aussi, quand on ignore, à un haut niveau, qu’un hôpital des grands brûlés à Oran est fin prêt, que reste-il à dire ? Je qualifie cela de mauvaise gestion contre laquelle je m’insurge. Et là je réitère mon interpellation au ministre de la Santé pour se pencher réellement sur ce dossier. On a suggéré d’instaurer 3 hôpitaux pilotes, à l’Est, au Centre et à l’Ouest, on n’a pas dit qu’il fallait transformer tous les hôpitaux d’Algérie en hôpitaux pilotes. Notre vœu, c’est de simplement revoir le système économique et financier de la prise en charge, sans remettre en cause le système social.
Entretien réalisé par Karim Bennacef