Insidieusement, sans avoir l’air d’y toucher, l’informel, sordidement boosté par l’incivilité, est parvenu à jeter son moribond ancre au centre-ville d’Oran, réduisant ainsi en peau de chagrin ses prestigieuses artères.
Bras dessus, bras dessous, l’incivilité et l’inculte n’ont finalement eu qu’à ébaucher leur répugnante touche pour dénaturer les mirifiques paysages de naguère, qui ont hissé en termes d’aura cette ville du bassin méditerranéen sur le palier de la somptuosité, dont jouissent les métropoles européennes. Les trottoirs des grandes avenues où s’épanouissait, à cette époque, la badauderie après le crépuscule, sont, fort malheureusement, tapissés de toutes sortes de tréteaux de fortune et autres toiles étalées à même le sol proposant à la vente un éventail d’objets hétéroclites allant des jouets pour les enfants aux ustensiles de cuisine, en passant par les herbes douteuses médicinales, dont raffolent les adeptes de la magie noire et les graines d’arachides périmées. Sous la voûte séculaire des arcades, qui protège contre du soleil excessif ou de la pluie, longeant partiellement le boulevard Larbi Ben M’hidi, les lieux se sont ignominieusement métamorphosés en véritable marché aux puces.
L’installation de gargotes spécialisées dans la vente de flan aux pois chiches, achalandées par une clientèle hilare, qui s’interpelle à haute voix, la bouche pleine et dégoulinante de pâte, a ajouté une touche grandement exécrable au peu reluisant tableau. Ces lieux se transforment à la tombée du soir en un immense dortoir pour des sans logis, qui trainent leurs guêtres durant la journée autour des cafés et autres places publiques. Un spectacle exécrablement morbide analogue, agresse la vue et l’odorat dans les abords immédiats du marché couvert Michelet, au sein du quartier portant le même nom. Les senteurs d’une multitude d’espèces de fleurs, proposées à la vente sur les lieux jadis, ont cédé leur place aux odeurs nauséabondes, provenant d’aliments pourris écrasés, dont le liquide visqueux s’est répandu sur le trottoir.
Un véritable festin pour les rats et autres animaux nuisibles, dont les sérénades nocturnes perturbent le sommeil des habitants des immeubles mitoyens. Toujours est-il que l’insouciance des uns et des autres, fruit d’une liaison illégitime entre la passivité et le dénuement intellectuel, a, au fil du temps, réussi à faire perdre au centre-ville d’Oran de sa superbe, qui n’avait rien à envier à celles des cités européennes. L’extrême sordidité, qui caractérise désormais avec commisération le cadre environnemental du centre ville, suscite un pincement au cœur chez ses anciens habitants. La subite multiplication de la démographie, enfantée en grande partie par l’exode rural incontrôlé dans les années de braises, a eu l’effet des bouffées d’un soufflet de forge sur un tissu ardent, sur la décadence de la zone centre de cette prestigieuse ville balnéaire du bassin méditerranéen, qui a inspiré autrefois d’illustres poètes et paroliers. Oran la belle, la séduisante, la joyeuse, image d’antan fidèlement reflétée par sa zone centre, qui a été harmonieusement interprétée à travers des chansons, appréciées par l’ouïe musicale, végète fort fâcheusement aujourd’hui dans la pire des désuétudes, et ne semble plus, en toute vraisemblance, hormis les nostalgiques, émouvoir quiconque. L’air ne fait plus hélas la chanson de nos jours. Et pourtant, rien ne prédisait une telle cruelle déchéance quand elle a allègrement imposé naguère sa somptuosité dans le classement des plus belles villes du bassin méditerranéen et ce, grâce à l’apparat de son centre. Ces artères, à l’exemple de la rue Mohamed Khemisti (ex-rue d’Alsace Lorraine), qui était autrefois aussi spacieuse que propre, ressemblent à s’y méprendre à un souk avec les hideux étalages que l’informel a imposé à la faveur d’une impunité manifeste. Le fétide, qui ferait fuir une portée de putois, s’est installé ainsi en maître absolu dans l’indifférence de tout un chacun. Ce déplorable constat n’est en réalité que la partie émergée de l’iceberg et est, à priori, loin de résumer le mal dont souffre le centre-ville d’Oran et dont l’étendue du massacre va crescendo au fil des jours.
Cet affligeant spectacle est observé impassiblement par la statue de la Sainte Marie, du haut de son monticule, édifiée un laps de temps après une époque, qui a coïncidé avec le terrible séisme, ayant ravagé Oran. D’aucuns s’accordent à rapporter que cette statue a été édifiée pour protéger Oran contre un éventuel autre tremblement de terre. Mais c’était sans compter avec l’autre séisme, ayant pour nom l’informel et l’incivilité, qui ont provoqué hélas encore beaucoup plus de dégâts à cette ville et, qui sera dans l’obligation de faire honneur au mérite de sa désignation pour abriter dans trois mois les jeux méditerranéens. « Nous souhaitons relever ce défi pour tenter de perpétuer l’aura d’Oran. Cela sera uniquement pour la fierté d’une ville magnifique et non pas pour un égo chancelant » ont fait remarquer de vieux habitants de la capitale de l’ouest.
Rachid Boutlélis