
Mounès Khammar, cinéaste algérien : «Le cinéma est la mémoire vivante de la Révolution algérienne»
A l’occasion de la projection de son film Zighoud Youcef dans le cadre de la 13e édition du Festival international du film arabe d’Oran, le réalisateur algérien Mounès Khammar revient sur cette œuvre historique consacrée à l’un des grands artisans de la Révolution algérienne.
Dans cet entretien, il évoque sa démarche artistique, la portée humaine de son film et l’importance du cinéma dans la préservation de la mémoire nationale. Le réalisateur Mounès Khammar a foulé avec émotion le tapis rouge du Festival international du film arabe d’Oran, où il présente cette année son premier long-métrage de fiction, Zighoud Youcef. Une œuvre ambitieuse retraçant la vie et le combat du héros national, architecte des célèbres attaques du 20 août 1955. «Je suis très heureux de participer à cette nouvelle édition du festival, confie-t-il. C’est un événement qui me tient particulièrement à cœur.
J’y ai travaillé il y a huit ans comme directeur artistique, et en tant que producteur, j’y ai décroché le Wihr d’or dès la première édition. Oran, pour moi, c’est un retour à la maison.» Son nouveau film, Zighoud Youcef, s’impose comme un hommage vibrant à l’un des symboles majeurs de la lutte pour l’indépendance. Mais Khammar tient à préciser : «Ce n’est pas un film purement documentaire. La différence entre résumer et condenser, c’est l’art. Le cinéma doit faire ressentir, pas seulement raconter. J’ai voulu évoquer les grandes étapes de la vie de Zighoud, ses combats, mais aussi son humanité». C’est d’ailleurs cette dimension humaine qui constitue le cœur du film. Le réalisateur explique avoir voulu montrer une révolution à la fois militaire, culturelle et morale. « La guerre de Libération n’a pas été qu’une lutte armée, c’était une révolution civilisationnelle. Les moudjahidine ont libéré la terre, mais aussi l’esprit et la dignité. Il fallait rappeler au monde que les Algériens ne se sont pas battus par haine, mais par amour : l’amour du pays, l’amour des leurs». Pour Khammar, le cinéma reste une arme essentielle dans la bataille de la mémoire. «Ne pas produire de films historiques, c’est effacer notre passé. Aujourd’hui, la guerre se joue aussi sur le terrain des récits. Si nous ne racontons pas notre propre histoire, d’autres le feront à notre place, à leur manière. L’Algérie possède une civilisation millénaire, et pourtant, notre imaginaire collectif est encore trop souvent nourri par des récits étrangers. Il est temps d’occuper notre propre espace culturel». Le réalisateur s’est appuyé sur un travail rigoureux pour ancrer son film dans la vérité historique. Le scénario, signé par l’universitaire Lahcen Taliani, président de la Fondation Zighoud Youcef, a bénéficié du soutien d’experts du ministère des Moudjahidine, producteur du film. «Ce cadre m’a offert une base solide, mais j’ai toujours défendu une idée : le cinéma n’est pas une leçon d’histoire, c’est une création. La mission du réalisateur est de transmettre une émotion, pas d’imposer un savoir académique». C’est dans cette logique que Mounès Khammar a façonné son œuvre, en privilégiant une approche grand public. « Le film n’est pas destiné aux historiens mais à tout le monde. Regardez les grandes fresques historiques internationales : elles mobilisent des budgets colossaux parce qu’elles parlent à la sensibilité universelle, pas aux universités. Mon ambition était la même : inscrire la mémoire de la Révolution dans l’imaginaire collectif, à travers l’art. » Pour conclure, le cinéaste rappelle que la culture, plus que les livres, est le véritable vecteur de transmission des civilisations. «Nous connaissons l’histoire de Haïzia grâce à un poème, et celle des anciens peuples à travers des fresques et des chants. L’art a toujours précédé les manuels. Le cinéma, art total, réunit tous les autres : il est notre miroir et notre mémoire». Zighoud Youcef se veut un acte de fidélité envers l’Histoire et une déclaration d’amour au peuple algérien.
Yacine Redjami



