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Le président Tebboune dans un entretien à l’hebdomadaire français Le Point:
«Sans l’Armée, la situation en Algérie serait pire qu’en Libye ou en Syrie»

Dans une longue interview accordée à l’hebdomadaire français Le Point, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune a répondu sans détours et avec franchise à de nombreuses questions concernant une multitude de dossiers relevant aussi bien de la politique intérieure du pays que de la politique internationale.

L’économie, les élections législatives, le hirak, les élections présidentielles de décembre 2019, les dangers des mouvements comme le MAK ou Rachad, le rôle de l’armée, la lutte contre la bureaucratie, mais aussi les relations avec la France, les questions sahraouie et palestinienne, et les relations avec le Maroc sont autant de sujets dont aucun n’a été éludé par le chef de l’État, qui a répondu avec pédagogie et une grande maîtrise de chacun des sujets abordés.

«Je refuse le diktat d’une minorité»
Concernant le mouvement de contestation plus connu sous la dénomination du hirak, né un certain 22 février 2019, contre le cinquième mandat de l’ancien président Bouteflika, le chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune, a affirmé d’entrée ne croire qu’au Hirak «authentique et béni». Il dira même à ce propos «Je n’utilise plus ce mot (Hirak) parce que les choses ont changé ». « Le seul Hirak auquel je crois est le Hirak authentique et béni qui a spontanément rassemblé des millions d’Algériens dans la rue. Ce Hirak-là a choisi la voie de la raison en allant à l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, ce Hirak n’a pas écouté le chant des sirènes qui le poussait à aller vers une période transitoire, et dix millions d’Algériens sont allés voter». Le Président rappelle qu’ «une minorité a refusé l’élection. Je pense que tout Algérien a le droit de s’exprimer, mais je refuse le diktat d’une minorité» Plus explicite, le chef de l’État, ajoutera «de plus, je m’étonnerai toujours du fait qu’un démocrate, qui se définit comme tel, rejette les urnes et prône la désignation. Quand il ne rejette pas l’opinion de la majorité, ce qui est en soi antidémocratique. Pourquoi voulez-vous désigner des personnes pour diriger le pays ? Qui êtes-vous ? Qui vous a fait roi ? Qui t’a rendu si vain/Toi qu’on n’a jamais vu les armes à la main, pour reprendre Le Cid !», s’est interrogé le président Tebboune. Il ajoutera qu’il a été «le premier à tendre la main aux gens du Hirak et à les recevoir, et que le premier gouvernement après les élections de décembre 2019, comptait cinq ministres qui en sont issus. Des personnes que j’avais vues m’insulter dans des vidéos. Ensuite, on a commencé à libérer des détenus pour arriver à 120 relaxés. Les gens continuaient à me critiquer, mais j’ai continué à faire des gestes». Pour le chef de l’Etat, «aujourd’hui, dans ce qui reste du Hirak, on trouve de tout, il y en a qui crient “Etat islamique!” et d’autres qui scandent +pas d’islam!+. Les manifestants expriment peut-être une colère, mais ce n’est pas le Hirak originel. C’est très hétéroclite», a-t-il constaté.
Concernant le classement par l’Algérie de Rachad et du MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie) comme mouvements terroristes, le Président Tebboune a indiqué qu’ «ils se sont eux-mêmes déclarés tels. Rachad a commencé à mobiliser tous azimuts, à donner des instructions pour affronter les services de sécurité et l’armée. Le MAK a tenté d’agir avec des voitures piégées. Face aux appels à la violence, la patience a des limites». Pour le correspondant du journal Liberté à Tamanrasset, arrêté et placé sous mandat de dépôt pour un article de presse, le chef de l’Etat a indiqué qu’»il a joué à tort au pyromane sur un sujet très sensible», qualifiant cela de «très grave».
Interrogé sur les prochaines législatives, le président de la République a dit avoir relevé «un engouement» en particulier chez les jeunes pour ces législatives ajoutant, qu’il «n’y a pas d’autre issue» et que «tous ceux qui veulent entraîner le pays vers l’aventure sont en train de perdre leur temps». A une autre question sur «une bonne partie de l’opposition» qui aurait choisi de «boycotter le scrutin», le chef de l’Etat a répondu : «Ce que j’observe à travers tout le pays ne dit pas que les Algériens, dans leur majorité, sont opposés aux élections législatives». Sur l’éventualité d’une nouvelle APN avec une «majorité parlementaire islamiste», le président de la République a rassuré que «l’islamisme en tant qu’idéologie, celle qui a tenté de s’imposer au début des années 1990 dans notre pays, n’existera plus jamais en Algérie».

«Le pays était au bord du gouffre»
Sur une question relative à la situation du pays précédent les présidentielles de décembre 2019, le Président Tebboune a rappelé que «le pays était au bord du gouffre» et qu’ «heureusement, il y a eu le sursaut populaire, le Hirak authentique et béni du 22 février 2019, qui a permis de stopper la déliquescence de l’Etat en annulant le cinquième mandat, qui aurait permis à la Issaba, ce petit groupuscule qui a phagocyté le Pouvoir et même les prérogatives de l’ex-président en agissant en son nom, de gérer le pays». «Il n’y avait plus d’institutions viables, seuls comptaient les intérêts d’un groupe issu de la kleptocratie», a-t-il dit, ajoutant qu’ «il fallait donc reconstruire la République, avec ce que cela implique comme institutions démocratiques».
Revenant sur son absence après avoir été touché par la Covid-19, le président de la République a affirmé que cela n’a pas affecté l’exercice du pouvoir, mais «retardé le programme des réformes». «Affecté non. Retardé le programme des réformes, oui. Mais nous avons réussi à faire en sorte que l’Etat fonctionne en mon absence. Preuve en est que la réhabilitation des institutions que j’ai entamée avait fonctionné», a-t-il fait valoir. Le chef de l’Etat a, en outre, indiqué avoir pu faire le bilan sur son environnement immédiat et les projets lancés. «Certains ont pensé que c’était le naufrage -et vous savez qui quitte le navire dans ces cas-là-, mais j’ai pu constater, avec fierté, toute la fidélité de l’armée, avec à sa tête le chef d’Etat-major Saïd Chanegriha», a-t-il dit, révélant que «nous nous appelions tous les matins».
Evoquant sa carrière au service de l’Etat, il a estimé, qu’ «après avoir exercé un peu plus de cinquante ans au service de l’Etat», depuis sa sortie de l’Ecole nationale d’administration (ENA) en 1969, «il est très difficile de faire de l’opposition à l’intérieur même du système». «Pourtant, j’en ai fait, j’étais une sorte de mouton noir. On m’a envoyé comme wali aux postes où il y avait le plus de problèmes. On m’avait collé une étiquette de ‘tête dure’, parce que je ne me privais pas de dire ce que je pensais», a-t-il confié. Et de poursuivre : «En 2017, j’étais déjà convaincu que l’Algérie allait droit dans le mur, que si la déliquescence des institutions se poursuivait, elle allait aussi impacter l’Etat-nation même, pas uniquement le pouvoir». «On ressemblait de plus en plus à une république bananière, où tout se décidait dans une villa sur les hauteurs d’Alger. Les institutions étaient devenues purement formelles, à l’exception de l’armée, qui a pu sauvegarder sa stature», a-t-il affirmé. «Il fallait donc agir et j’ai proclamé, en tant que Premier ministre, devant le Parlement, que le salut viendrait de la séparation de l’argent et du pouvoir. Ma famille et moi en avons payé le prix, mais cela fait partie du risque de l’exercice du pouvoir», a-t-il relevé. Pour lui, «quand le pouvoir est gangrené par les intérêts personnels, il se défend à sa manière. S’attaquer à ce système peut devenir mortel. Très dangereux», a-t-il déploré, ajoutant qu’»une partie de l’administration, censée être neutre et servir les administrés, s’est mise au service des lobbys de la kleptocratie, que l’on appelle à tort +oligarchie+, car il s’agit plutôt d’un groupe de voleurs».
Le Président Tebboune a indiqué, par ailleurs, n’avoir pas été le candidat d’un parti politique, mais celui du peuple et de la jeunesse, qu’il considère comme «deux piliers» sur lesquels il compte beaucoup. Interrogé sur un éventuel autre mandat présidentiel, il a indiqué qu’il n’y pense pas et que sa mission et de remettre sur pied le pays. «Très honnêtement, je n’y pense pas. Ma mission est de remettre sur pied mon pays, lutter contre les passe-droits, reconstruire les institutions et faire que la République appartienne à tout le monde. Un autre mandat ? Je ne sais pas. On n’est qu’au début de mon mandat», a-t-il ajouté.

«Sans l’Armée, la situation en Algérie serait pire qu’en Libye ou en Syrie»
Répondant à une question sur la place et le rôle de l’Armée en Algérie, le chef de l’État dira que «Le poids de l’Armée est une réalité positive. Si nous n’avions pas une Armée aussi moderne et aussi professionnelle, la situation en Algérie serait pire qu’en Libye ou en Syrie», ajoutant que pendant le Hirak, «certains, y compris dans les rangs de ceux qui se prétendent démocrates, ont demandé à l’Armée d’intervenir, qui a refusé, préférant protéger le pacifisme du mouvement». «Si elle avait voulu prendre le pouvoir, elle l’aurait fait. C’était une demande populaire, le peuple l’appelait à faire cesser la comédie du cinquième mandat et la déliquescence de l’Etat… L’Armée n’a pas pris le Pouvoir et ne le prendra pas, parce qu’elle est légaliste». «L’Armée, rappellera le président Tebboune, s’est retirée de la politique depuis la fin des années 1980» et que «l’époque où des officiers de l’Armée siégeaient au Comité central du FLN (ex-parti unique au Pouvoir) est terminée», soulignant que «l’Armée ne fait plus de la politique».

«Le pays n’est pas à l’arrêt»
Abordant les dossiers économiques, le Président réaffirme son total engagement à poursuivre sa lutte contre la bureaucratie qui constitue un blocage pour la mise en œuvre de la nouvelle politique économique du pays. «La situation du climat des affaires n’est pas aussi catastrophique. Il y a des problèmes, des difficultés, peut-être aussi des blocages à cause de la bureaucratie, contre laquelle je lutterai avec toute mon énergie».»Je l’ai dit aux hommes d’affaires et aux start-up: la bureaucratie est notre ennemi commun. Pour le reste, les gens continuent à travailler et à investir, le pays n’est pas à l’arrêt». Le chef de l’État n’a pas caché la réalité de l’économie algérienne, déclarant à ce sujet «nous avons une économie sous-développée et désarticulée, tournée vers l’importation, sans aucun échange intersectoriel» et contre laquelle «des voix s’élèvent pour dénoncer les blocages dans l’administration, des responsables qui ont peur d’assumer des décisions, une fiscalité qui encourage l’informel, des banques méfiantes…».
Sur le patronat algerien, le Président rappellera que tout est entrepris pour les rassurer. «Nous avons déjà fait plus que le nécessaire pour les rassurer. Nous avons réuni, à deux reprises, les patrons algériens, nous avons pris des mesures dans les lois de finances…La justice a pris tout son temps pour juger ceux qui ont indûment touché à l’argent public, on n’accuse personne à la légère». Il a réitéré son appel aux investisseurs sérieux qui veulent investir dans la construction mécanique en respectant les cahiers de charges et en assurant le taux d’intégration requis.
A côté de cela et en parallèle de toutes les réformes engagées, il y a un constante qui ne changera jamais en Algérie qui sera «un Etat social ad vitam aeternam, parce que c’est une exigence de ceux qui se sont sacrifiés pour ce pays. La Déclaration du 1er novembre 1954 préconisait la création d’un Etat démocratique et social. Tel était le vœu de nos martyrs».

«Le Maroc a toujours été l’agresseur»
Sur les questions internationales, et les positions de l’Algérie concernant les relations avec la France, le Maroc, et les questions sahraouie et palestinienne, le président Tebboune rappellera le soutien de l’Algérie aux Palestiniens et son refus d’une quelconque normalisation avec l’entité sioniste. Concernant le dossier sahraoui et les relations avec Maroc, le chef de l’État dira clairement, «certains croient qu’avec l’ouverture de consulats (à Laâyoune et à Dakhla), le dossier du Sahara occidental est clos, mais ils se trompent. Le Maroc devrait revenir rapidement à une solution acceptable conforme au droit international», a-t-il soutenu. Revenant sur la reconnaissance par Trump de la prétendue souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, M. Tebboune s’interrogera, «comment peut-on penser offrir à un monarque un territoire entier avec toute sa population? Où est le respect des peuples?». Et concernant le refus des Marocains de se plier aux résolutions onusiennes et d’accepter le référendum, il dira, «pourquoi les Marocains refusent-ils l’autodétermination? parce qu’ils ont procédé à un changement ethnique (changement de la composante démographique) qui a ses conséquences: les Sahraouis à l’intérieur du Sahara occidental sont aujourd’hui minoritaires par rapport aux Marocains qui s’y sont installés. En cas de vote pour l’autodétermination, les Marocains installés sur le territoire sahraoui vont voter pour l’indépendance parce qu’ils ne voudront plus être les sujets du roi. Il est paradoxal d’avoir une majorité marocaine et de refuser le vote d’autodétermination», constate-t-il. Concernant les relations algéro-marocaines, le président de la République dira que «dans cette relation, le rôle honorable revient à l’Algérie. La rupture avec le Maroc-et je parle de la monarchie, pas du peuple, que nous estimons-remonte à tellement longtemps qu’elle s’est banalisée».»Le Maroc a toujours été l’agresseur. Nous n’agressons jamais notre voisin. Nous riposterons si nous sommes attaqués. Mais, je doute que le Maroc s’y essaie, les rapports de force étant ce qu’ils sont», il ajoutera que les frontières entre les deux pays resteront fermées, déclarant, «on ne peut pas ouvrir les frontières avec un vis-à-vis qui vous agresse quotidiennement».

«Ce que nous voulons, c’est une mémoire apaisée, reconnue»
Pour ce qui est des relations avec la France, le président Tebboune a rappelé d’entrée que «les Algériens attendent une reconnaissance totale de tous les crimes commis par la France coloniale», faisant remarquer que «tout cela ne concerne pas la génération du président Macron, ni celle de certains intellectuels français, qui sont irréprochables», relevant toutefois que «reconnaître ces faits est important». Le chef de l’État a aussi posé cette question de savoir, de manière tout à fait légitime, «pourquoi tient-on à la reconnaissance de ce qu’ont subi les Arméniens, les juifs, et ignore-t-on ce qui s’est passé en Algérie? », ajoutant «ce que nous voulons, c’est une mémoire apaisée, reconnue. Qu’on sorte de cette fable d’Algérie terra nullius où la colonisation aurait apporté la civilisation», apportant cette importante nuance sur le fait que «ce n’est pas la France de Voltaire, la France des Lumières que l’on juge. C’est la France coloniale».
Nabil.G

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