
Été sous moins de tension : dans les coulisses de la reconquête des plages d’Oran
Bousfer, en ce début du mois d’août 2025. Il est à peine 9h du matin en cette belle journée de fin de semaine. Les aoûtiens sont déjà en force occupant les belles petites plages des Penika et celle des Deux Balises. En plus des estivants locaux, les membres de la communauté nationale résidant à l’étranger sont déjà dans leur terre ancestrale, ils sont arrivés en force, tous heureux de retrouver leurs proches et se retrouver dans cette terre ne repoussant aucun de ses membres.
C’est parti pour une belle virée respirant l’iode marine, tant bénéfique. Alors que la lumière rase de l’été caresse doucement le sable tiède de Bousfer-Plage, une brise légère agite les pins maritimes perchés sur cette somptueuse corniche tant visée, ciblée par plusieurs centaines d’estivants ne pouvant aucunement se passer de la mer.
Des rires d’enfants éclatent à l’arrière-plan, bientôt couverts par le ronronnement d’un moteur de fourgon qui ralentit à hauteur de la plage des Dunes, à l’ouest de la ville côtière d’Aïn El Turck. À son bord, des policiers en tenues civiles et d’autres en tenue officielle jettent un regard circulaire avant de s’enfoncer discrètement, mais souriant, dans la foule, comme pour dire aux estivants: «ne vous inquiétez et ne paniquez pas, nous sommes là pour accomplir notre devoir, en assumant et assurant votre sécurité».
Ce matin-là, les touristes ne sont pas seuls à voir ces policiers, souples et dynamiques, dans ce rendez-vous avec le sable de cette mer à…libérer, vaille que vaille, de ces charognards ayant cru dur comme fer à leurs matraques, leurs balafres et leurs acolytes, portant, eux aussi, des stigmates des balafres. Car derrière les scènes classiques d’un été algérien, des glacières pleines, des parasols multicolores, des merguez grillées et du sable collant, se joue une bataille discrète, rapide mais acharnée : celle de la reconquête des plages d’Oran, longtemps livrées aux mains d’exploitants illégaux.
Le sable n’est pas un territoire occupé
Le littoral oranais a longtemps été ce refuge estival où les familles venaient chercher un coin d’ombre et d’oubli. Mais à mesure que le thermomètre grimpe, la pression monte aussi. Pas seulement celle du soleil, mais celle de ces groupes informels, parfois bien organisés, qui s’arrogent le droit de gérer, de louer, de surveiller, et parfois même d’interdire l’accès aux espaces publics. «dans les années précédentes, dès qu’on s’installe avec notre propre parasol, raconte Malika, une mère de famille venue de Sidi Bel Abbés, un type, à la voix rauque, insolent, vient nous dire que «tout est réservé» et qu’il fallait payer 500 dinars, même pour utiliser le nôtre. «Et attention, si on refuse ou encore on affiche une quelconque résistance, ça risque de dégénérer vite. Ils nous parlent comme si on empiétait sur leur terrain», a-t-elle précisé d’un ton amer. De Madagh à Trouville, d’El Bahia aux Andalouses, le scénario s’est répété à plus d’un titre. Des parkings improvisés surgissent au pied des falaises, des barbecues enfument les criques les plus paisibles, et des parasols alignés comme des rangs militaires quadrillent les plages. La mer, elle, continue de rouler ses vagues sur le sable, indifférente aux frontières invisibles qu’on lui impose.
Descente au cœur du système
Mais cette année, quelque chose a changé. Depuis juin, une opération d’envergure mobilise les forces de sécurité sur l’ensemble du littoral ouest. Sous la houlette de la sûreté de wilaya, des opérations d’envergure sont menées dans les plages de la daïra d’Aïn El Turck, épicentre balnéaire de la région. Les autorités locales ont enclenché un processus de reprise en main, méthodique et parfois musclé. «On ne vient plus simplement faire acte de présence. On agit. Chaque jour. En civil ou en uniforme, selon les besoins», confie, à l’abri d’un café de bord de route, un inspecteur de police de la sûreté de wilaya. «Il ne s’agit pas d’un coup de com’ estival, mais d’une stratégie globale inscrite dans la durée», a-t-il ajouté. Le bilan est parlant : plus de trente interventions rien qu’en juillet, des dizaines de parasols, transats, tables, glaciaires et grils saisis. Et surtout, des découvertes plus troublantes encore : des tickets factices, des carnets de comptes soigneusement tenus, comme ceux d’un commerce parfaitement rodé. Du jeu du chat et de la souris, cette reconquête est d’autant plus citoyenne qu’elle est saluée par les citoyens. Sur le terrain, pourtant, la bataille est encore loin d’être gagnée. À peine les forces de l’ordre tournent-elles le dos que les squatteurs réapparaissent, souvent déguisés en employés de fast-food, en animateurs de plage ou même en membres d’associations bidon. «Ils sont rusés et malicieux. Certains ont même de faux documents d’autorisation. D’autres utilisent des enfants pour surveiller les mouvements de la police», soupire un agent communal, casquette enfoncée sur les yeux. «Mais cette année, ils nous trouvent en face. Et pas seulement nous». Car en parallèle des opérations répressives, une véritable mobilisation civique s’est mise en place. À la wilaya, une cellule de veille opérationnelle travaille en continu. Les plages sont mises sous haute surveillance. Les éléments de la gendarmerie veillent, eux aussi, sur les plages, ne laissant aucun répit à ces racketteurs des temps modernes. Simultanément, et au bord de l’eau, les scouts algériens distribuent tracts et conseils aux estivants.
Longtemps ignorée, la loi enfin appliquée
La législation est pourtant claire et explicite, l’accès aux plages est gratuit, et toute activité commerciale doit passer par un appel d’offres formel, encadré par les autorités locales. Mais pendant des années, les textes sont restés lettre morte, noyés dans l’inertie, les silences complices ou la peur de déranger. Aujourd’hui, l’heure est à la clarification. «On veut rendre les plages à ceux à qui elles appartiennent, les citoyens», tranche un cadre de la direction du tourisme. «Ce n’est pas un luxe, c’est un droit. Et on n’a plus le droit d’y renoncer».
Le poids des images, la force des réseaux
L’étincelle, disent certains, est venue d’ailleurs, des smartphones, des hashtags, et d’une opinion publique qui refuse désormais de se taire. Vidéos de familles refoulées, photos de plages balisées à la bombe, témoignages d’humiliations… Sur Facebook, TikTok ou Instagram, les récits se multiplient. «?C’est la honte numérique qui les fait reculer», estime Nassim, étudiant résident à Haï El Yasmine. «Ils ont plus peur d’être filmés que d’être arrêtés». C’est triste, mais efficace», a-t-il expliqué. Les hashtags #PlagePourTous et #StopAuSquat, relayés massivement, ont fait le tour du pays, forçant les décideurs à réagir. À Oran, la pression est devenue insoutenable mais salutaire.
Sur certaines plages comme Madagh 2, encore épargnées, l’ambiance rappelle une Algérie d’avant le désordre. Des familles posent leurs serviettes sans crainte, les enfants bâtissent des châteaux de sable, et les rires ne sont pas étouffés par les cris des racketteurs. Yasmina, 68 ans, descend lentement à la plage. Dans sa main, une boîte à gâteaux faite maison. Autour d’elle, ses petits-enfants courent en direction de l’eau. «?C’est ça la mer. Pas de parasols à louer. Pas des menaces. Juste du sable, de l’eau, et la paix».
L’été où l’État a dit non
Août 2025 pourrait bien marquer un tournant. L’été où les plages d’Oran ont commencé à respirer à nouveau. L’été où l’État a dit non à l’anarchie, en stoppant par la force de la loi cette gloutonnerie frénétique de ces “sans lois » qui se sont emparés, des années durant, des sables en les transformant en propriété privée.
Cette réappropriation est l’œuvre de la mobilisation infaillible de ces hommes qui ont prêté serment de ne jamais lâcher au devoir national. Mais rien n’est totalement acquis, préviennent les plus lucides.
Derrière chaque parasol saisi, il y a un squat qui peut renaître. Derrière chaque victoire, un combat qui attend de recommencer. Et pourtant, quelque chose a bougé. Un réflexe collectif. Une vigilance nouvelle. Un souffle d’espoir qui, cette fois, semble vouloir durer plus qu’un été, dans la durée, autant que cela puisse durer. Des racketteurs chassés serviront d’enseignement pour tout autre qui ose défier la force de la loi. «Un homme averti en vaut deux», dira majestueusement un policier en faction aidant une vieille dame dans l’installation de son parasol.
Yacine Redjami