EDITO

Le vendeur d’Oursin ou le corrompu

Il y a des métiers que la crise invente. Ce n’est pas dramatique en soit, pour la simple raison que certaines occupations jadis, à la limite, dégradantes pour la dignité de l’homme sont, aujourd’hui, sources de gros profits. Il ne faut pas penser que c’est le découvreur de la profession en question qui s’enrichit. Non. Il faut plusieurs générations de perfectionnement du métier, d’expertise et d’expérience. C’est en général le petit fils du petit fils du pionnier qui parvient à la prospérité et permet à l’arrière arrière grand père de prendre une belle revanche posthume sur une société et une époque qui l’ont écrasé.
Les métiers de la crise sont donc un investissement à long terme. C’est un peu comme les infrastructures de base que l’Etat construit ces dernières années. Leur rentabilité n’est pas immédiate. Il faut attendre des dizaines d’années pour éponger les milliards de dollars de l’autoroute Est-Ouest. Il faut à peu près le même nombre d’années pour amortir une centrale électrique ou un gros barrage. Mais l’Etat consent ce genre d’investissement parce que le pays n’est pas près de mourir d’ici là. Il y aura donc certainement des Algériens pour en profiter et tirer des dividendes de toutes ces réalisations.
C’est en fait cela la différence entre l’Etat et l’individu. Lorsqu’un homme pense avoir trouvé une idée lumineuse en allant chercher les oursins pour les proposer à la vente, il n’est pas sûr que son idée accroche. Mais celle-ci pourrait bien devenir un véritable métier si son découvreur ne cherche qu’assurer sa pitance, parce que son entreprise a eu le malheur de tomber sur un gestionnaire qui ne descend pas d’une lignée de dirigeants. Le genre de personne qui escalade les paliers de la responsabilité à coup de copinage et autres jeux de coulisses.
Au pied du mur, le petit employé sans salaire, se débrouille comme se débrouillait le vendeur ambulant de garantita dans les quartiers d’Alger et d’Oran des années soixante. Et s’il met de l’ardeur et un maximum d’optimisme, il parviendra à faire de son occupation un métier. Il créera la plus-value que son idiot de directeur d’entreprise en faillite n’a pas réussi à trouver. Mais un métier ça ne débouche pas sur une aisance matérielle. Il va lui falloir transmettre son savoir-faire à ses enfants, qui feront de même jusqu’à ce qu’un des descendants enveloppe cette activité dans une vraie PME.
Le vendeur d’Oursins est un pionnier, un créateur de richesse, presque un héros dans un pays où la rente est encore le moteur de la croissance. Il est clair qu’à côté du corrompu, dont le métier est immédiatement rentable, il ne fait pas le poids. La corruption, autre métier de la crise, a, il faut bien le reconnaître, beaucoup plus de succès que la vente d’Oursins. La rentabilité est immédiate et les enfants n’auront même pas besoin de perfectionner quoi que ce soit. Ils sont nés pour consommer, juste pour consommer. Question : lesquels de ces Algériens est digne de respect, le vendeur d’Oursin ou le corrompu ?
Par Nabil.G

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