Depuis hier et jusqu’au 27 du mois courant, des rencontres nationales sur le grand dramaturge, Ould Abderrahmane Abdelkader dit Kaki seront organisées successivement à Mostaganem, Oran, Sidi Bel Abbes, Biskra et au TNA d’Alger.
Des universitaires et des hommes du quatrième art animeront des conférences sur son parcours artistique, ses œuvres et sa conception d’une nouvelle vision théâtrale propre à lui, typiquement algérienne. Né le 18 février 1934 au faubourg ancestral et populaire de Tijdit à Mostaganem. Kaki, dès son enfance, était passionné par le théâtre. Pendant son adolescence, il se rendait souvent à la souika (place du marché) sise au dit faubourg où se croisaient la culture sous tous ses aspects et le culte avec son fondement principal, le soufisme. « Ainsi, tant par l’oralité de contes faite par les medahs (gouals) que par le culte et par le cinéma (une salle dite cinélux) se trouvait à Tijditt où des films américains et autres étaient projetés, Kaki a su se frayer un chemin dans le monde du quatrième art, tout en devenant un grand dramaturge, inspiré par de célèbres hommes du théâtre universel. Kaki a su mettre en symbiose les deux courants (théâtre universel et les contes que véhiculent les medahs par l’oralité), et créer sa propre voie théâtrale. Pétri d’oralité et en osmose avec le peuple, le théâtre de Kaki va interpeller le paysan et le citadin, interroger et impliquer par l’événement scénique en représentation chez Kaki qui a réussi à insérer le verbe du medah, si prépondérant dans l’oralité dans la liturgie théâtrale » (Bencheida Mansour et Abderrahmane Mostefa). En 1950, Kaki se rend en Roumanie, à l’occasion du rassemblement mondial de la jeunesse. Il va voir beaucoup de pièces théâtrales, rencontre des personnalités du quatrième art, et ne rate aucune conférence sur le théâtre pendant cette grande manifestation de la culture. Il en revient transformé. Kaki adhère au groupe scout « el Fellah » et l’association Es saidia qui tire son nom du patron de Mostaganem El ouali Allah salah Sidi Said El Bouzidi. Il tire un grand profit de ces adhésions. En 1954, une troupe de théâtre est créée, et des comédiens se cristallisent autour de Kaki. Plusieurs pièces sont jouées. Après l’indépendance, Kaki et sa troupe élisent domicile au TNA (théâtre national algérien) à Alger. En novembre 1963, Kaki joue à Alger avec ses comédiens sa pièce « 132 ans ». Che Guevara qui assistait à ce spectacle avec le président Ben Bella a dit à la fin de la représentation : « l’Algérie a un théâtre révolutionnaire ». En 1954, Kaki joue à Paris « Avant théâtre ». Kaki a été en 1987, gratifié de la médaille d’or au festival du théâtre africain de Tunis, et tenant en 1986 du grand prix au premier festival de Sfax (Tunisie) et en 1989, il eut la médaille d’or au festival du théâtre expérimentale du Caire (Egypte). Jean Pierre Vincent, metteur en scène, fournit un témoignage : « J’ai eu à travailler avec Ould Abderrahmane Kaki de façon très brève, malheureusement . Mais cette rencontre a été décisive pour moi, pour la confirmation de ma vocation, pour l’appréhension très vive d’un certain nombre de réalités du théâtre pour le déclenchement en particulier de certains moteurs du jeu d’acteurs (engagement personnel, risque, précision ect). J’ai aussi découvert, alors, l’importance du travail corporel de l’action. La tradition française est plutôt « langagière, littérale », Kaki m’a ouvert un autre monde, celui de l’acrobatie du corps qui se fait parfois souffrir, pour devenir beau et significatif ».
UNE RENCONTRE D’ADIEU
« Durant les trois derniers mois d’avril 1993, un grand hommage est rendu à Kaki, grand dramaturge par une pléiade de comédiens des planches et des plateaux, autorités de la wilaya et de la commune, anciens compagnons, interprètes de la chanson chaabie, bédouine et moderne de la ville, artistes peintres, journalistes, des hommes de culture, des universitaires, venus témoigner cette amitié culturelle à un grand serviteur de la culture nationale et universelle. Nous citons entre autres, Rouiched, Ali Kouiret, Daouadji, Benaouda, Sissani, Noria, Fatiha Berber, Larbi Zekkal, Kazdali, Alloula, Korid Ali, Nourredine Boukhatem, Djilali Ain – Tedeles, Belmokadem Abdelkader, Chougrani benmohamed Mohamed, Mohamed Tahar, Bourakba, Benaissa Abdelkader, Noureddine Benattia, Habib Bettahar, Djamel Bensaber. Les salons de l’hôtel Essahel » étaient déjà pleins ce mardi 28 avril 1993 lorsque Kaki, affaibli par la maladie, est venu saluer toutes celles et tous ceux venus de plusieurs coins du pays lui témoigner leur admiration, leur sympathie, leur hommage. Aussitôt entré dans la salle de l’hôtel, Kaki fût entouré de ses amis aussi bien celles et ceux qui ont travaillé sous sa direction que tous ceux qui ont accompli la merveilleuse et passionnante aventure théâtrale, depuis ces lointains moments des années 1950 et 1960. En dépit d’une fatigue très apparente, Kaki est toujours pétillant avec ses propos qui vont droit au cœur et d’où le mot « Algérie » n’est jamais absent. L’art et l’Algérie sont fortement soudés dans la conscience et dans les sentiments d’un homme qui a toujours nourri l’ambition de voir son pays conquérir les cimes de l’art et de la culture. Kaki fait partie de cette race d’hommes qui ne perdent pas pied. Moments inoubliables, magiques. Une sensation exceptionnelle inattendue, indescriptible. Comment discerner le réel de la scène de ce tableau du Guerrab qui hante encore les esprits. Non, ce n’est pas le personnage du « Guerrab Ouassalihine » qui surgit du néant, qui a quitté les planches pour venir accueillir Kaki. Non, c’est réellement Belmokadem Abdelkader qui vient nous abreuver de culture, nous les assoiffés de culture qui refusons de nourrir de sécheresse culturelle toujours menaçante de son isolation, toujours asphyxiante, étourdissante…. Belmokadem, drapé de son costume de Guerrab, son outre en Bandoulière, coupe de cuivre dans sa main, clama de ses fibres : « AL MA, AL MA, MA SIDI RABI DJAYBOU, DJAYBOU MEN AIN SIDI EL OKBI ».
Kaki, comme par pudeur et par obligation, a accepté de quitter momentanément son lit de maladie pour venir souhaiter la bienvenue aux convives de Mostaganem. Après avoir accompli cet usage traditionnel, il se retire sous de chaleureux applaudissements, cependant que les cérémonies se poursuivent sans lui mais pour lui (conférences, pièces théâtrales, poésies et soirées musicales)…….. Kaki entouré de ses amis, des autorités locales, apprend avec joie et émotion, comme toute l’assistance d’ailleurs, la naissance de la fondation du théâtre arabe qui portera son nom et qui décernera chaque année le premier prix de la meilleure œuvre. La municipalité de Mostaganem à également institué un prix qu’elle offrira au meilleur créateur de l’année. Elle inaugure cela en décernant le premier prix à Kaki » (Amar Belkhodja). Malheureusement, ces décisions n’ont pas été concrétisées. Kaki meurt le 14 février 1995.
Charef. N