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Le Pr Boubekeur Mohamed, sénateur et chef de service EHU Oran en exclusivité à Ouest Tribune:
«La vaccination devient obligatoire dans les administrations et les écoles»

Dans un entretien accordé en exclusivité à Ouest Tribune, le professeur Boubekeur Mohamed, sénateur et chef de service à l’EHU « 1er novembre » d’Oran, décortique avec l’œil du spécialiste, la situation sanitaire actuelle
que traverse le pays.

L’annonce d’un nouveau variant du nom d’omicron, l’accélération de la contamination dans les établissements scolaires et le pass sanitaire, sont autant de sujets entre autres, qui ont suscité l’intérêt de notre interviewé : écoutons-le :

Ouest Tribune : A l’instar des autres pays de la planète, l’Algérie vit elle aussi dans la tourmente de la pandémie. Où en est la situation ?

Pr Boubekeur Mohamed : A propos de cette pandémie, et particulièrement depuis qu’il est annoncé l’apparition d’un nouveau variant, l’Omicron, il faut que les Algériens fassent très attention. Le 1er ministre anglais, Boris Johnson avait déclaré que l’Omicron c’est un raz de marée, moi je dis, c’est un tsunami ! Aujourd’hui, au niveau des Etats Unis, vous avez plus de 50.000 contaminations /jour.
En Afrique du Sud, leur président a été contaminé, on ne sait pas si c’est à l’Omicron, mais il a été contaminé, récemment. Au royaume unis, c’est plus de 60.000 contaminations/jour ; au niveau de la France, ils sont à 2600 cas en réanimation, 14.000 hospitalisés et 48 décès /jour. C’est inquiétant. En Algérie, nous avons dépassé les 200 cas de contaminations ; si on parle de la wilaya d’Oran, entre les centres Anti-Covid de « Nedjma » et « El Kerma », nous avons 220 hospitalisations. A propos de l’Omicron, on dit qu’il y a environ 67 pays qui en sont touchés et on dit qu’en Algérie, il n’est pas rentré ?! ( un cas a été détecté après cette interview à Alger- NDLR) Comment peut-on l’affirmer alors qu’il n’y a qu’un seul laboratoire qui fait du séquentiel et qui se trouve au niveau de l’Institut Pasteur à Alger ? il fait des analyses au niveau de tout le pays, peut-on affirmer que les populations qui se trouvent au Sud et à Tindouf, ont fait leurs tests ? Moi, j’en doute fort.
C’est vrai que le virus Delta est dominant en Algérie, mais moi je doute fort que l’Omicron ne soit pas rentré chez nous.
Quoiqu’il en soit, ce virus est très contagieux, ses symptômes sont légers, il semble que les vaccins ne réagissent pas dessus ; c’est ce que l’on dit. D’autres cercles médicaux soutiennent l’inverse avec Pfizer et Moderna. Pfizer s’est avéré être, selon les dernières études, très efficace chez les enfants. Des laboratoires travaillent à produire des vaccins sous forme de gélules et même de chewing gum, qui seront disponibles dans quelques semaines et qui préviennent contre les formes graves.

Ouest Tribune : Où se situe le risque, s’il y a risque, en Algérie ? Y a- t-il urgence ?

Pr Boubekeur Mohamed : Le problème qui se pose chez nous, c’est la contamination au niveau des groupes scolaires, parmi les enseignants et les élèves. Il y a beaucoup de cas, Tizi-Ouzou avec 57 établissements, Bejaia, à Oran ça doit être plus. C’est un cercle vicieux. L’enseignant contamine l’enfant, l’enfant contamine les membres de sa famille même si les symptômes restent légers.
A coté de cela, la population est toujours dans la négligence la plus absolue, les gens sont en retard en terme de vaccination ou ignorent encore quand faut-il faire le rappel, sans parler des attroupements, la fréquentation des marchés et des salles de spectacle. Le ministre de la Santé dit que le conseil scientifique et les médecins spécialistes n’ont pas encore décidé, concernant les enfants, et qu’il faudrait peut-être voir ce que va décider l’OMS. Or, beaucoup de pays ont commencé à vacciner leurs enfants, la Chine à partir de l’âge de 3 ans, la France, l’Angleterre, les USA. Nous, qu’est-ce qu’on attend ? Il faut l’avouer, il y a un grand problème car les personnels de l’Education ne sont pas tous vaccinés, seuls 13 à 14 % de vaccinés sont enregistrés, un pourcentage très faible et inquiétant. A mon avis, il faudra instaurer une vaccination obligatoire. Je conçois que l’on ne peut pas imposer de facto l’obligation de vaccination aux Algériens, mais nous devons impérativement l’imposer aux personnels du secteur public, notamment ceux sensibles où la vaccination devient obligatoire, à l’exemple du secteur de la Santé où l’on enregistre un taux de vaccinés de 9% seulement ! C’est une hérésie. Tous corps confondus, nous sommes à 27% de vaccination pour toute la population algérienne. Le pass sanitaire doit être obligatoire. Il faut instaurer une vaccination obligatoire dans toutes les administrations et les écoles si on veut faire en sorte que l’épidémie diminue. Pourquoi on impose certaines obligations au niveau des frontières et on ne les impose pas à l’intérieur du pays ? Actuellement nous sommes sur une phase ascendante, le pic sera atteint vers février ou mars, le taux de contamination est en train d’augmenter, pour preuve, nous avons plus de 2000 cas d’hospitalisations en Algérie.
C’est quand même énorme. Quand on rapporte qu’il y a tant de milliers de cas dans certains pays, il faut se référer au nombre de la population, c’est relatif. Maintenant, il y a toujours urgence face à l’accélération des événements et leurs tournures souvent imprévisibles. En France par exemple, ils sont déjà quelques millions à avoir fait la 3ème dose, en Angleterre, ils ont réduit à 3 puis à 2 mois pour le rappel de la 3ème dose et à partir de 18 ans.
Nombre de pays européens reviennent au confinement. Cela dénote de la complexité de la situation sanitaire qui risque de dégénérer de manière incontrôlée.

Ouest Tribune : Pensez-vous que les campagnes de sensibilisation ont été insuffisantes ? Et qu’en est-il des vaccins ?

Pr Boubekeur Mohamed : Beaucoup de gens ont des idées préconçues sur les vaccins, comme quoi demain il vont devenir des monstres ou des robots, c’est complètement farfelu. Et aux femmes, on leur a mis dans la tête qu’elles ne vont pas accoucher, c’est insensé ! Je pense qu’il faut insister dans la sensibilisation. Concernant les vaccins, on dit actuellement que les deux doses ne sont pas efficaces sur l’Omicron et même sur le Delta. Certes, l’immunité diminue au bout de 6 mois jusqu’à 80%, donc autant aller vers la 3ème dose, non seulement elle va renforcer l’immunité et en même temps, elle va éventuellement agir sur l’Omicron. Par contre il faudra changer de vaccin, car le changement augmente l’immunité. Ensuite, et deuxième chose très importante, nous allons vers l’hiver, donc il y a le virus de la grippe. L’Algérie a importé environ 2 millions de doses de vaccin antigrippal, disponible dans les polycliniques, donc, on peut le faire le jour même de la 3ème dose, sans que cela ne pose de risque, il suffit juste de l’injecter dans la partie opposée à celle qui reçoit le vaccin anticovid. C’est très important surtout pour les plus de 65 ans.

Ouest Tribune : On parle de villes plus touchées que d’autres; quelle est la situation dans les hôpitaux et chez les personnels médicaux et paramédicaux ?

Pr Boubekeur Mohamed : Ce sont surtout les villes du nord, comme Tizi-Ouzou, Bejaia, Oran,…
… Constantine, Skikda, etc… L’intérieur est moins touché. Quant à la situation qui y prévaut, il faut absolument dire que les hôpitaux sont saturés, « El kerma » et « Nedjma » sont chargés, à Alger les services sont pleins, à Tizi-Ouzou, la même chose, à Bejaia ça explose. Ceci d’une part. De l’autre, le personnel est fatigué et il s’en fout maintenant, parce que c’est un personnel qui a affronté la mort et de surcroît ne perçoit pas sa prime Covid ou avec des mois de retard, en plus du manque d’organisation. On doit lui donner sa prime, il meurt pour ça. La coordination nationale des syndicats de la Santé a proposé que la prime covid en question soit incluse dans la prime de contagion, car la prime de contagion reste dans le salaire et rentre dans la retraite. Ce qui est tout à fait légitime comme revendication, car le personnel affronte la mort. Il ne faut pas oublier qu’il y a plus de 450 personnels soignants qui sont morts dans des conditions affreuses en affrontant un ennemi invisible et mortel ; jusqu’à quand va-t-on fermer les yeux sur cette revendication. D’ailleurs, ils ont dit qu’ils vont boycotter les assises tant qu’ils n’auront pas obtenu l’acceptation de leurs revendications, dont la révision du statut du médecin, du spécialiste. Aussi, pourquoi le médecin doit-il rester dans la misère, il fait 12 ans d’études et 40 autres pour être professeur, et encore car il faut passer des concours, le tout pour un salaire de misère de 20 millions de cts. Certes les salaires ont été augmentés mais en parallèle, l’IRG augmente. Moi je demande que le professeur, chef de service soit nommé par décret. Pourquoi les SG d’APC, les chefs de daïra et autres fonctionnaires, le sont et pas le corps médical ? Je demande aux hautes instances de revoir la situation du professeur chef de service, c’est important d’autant plus qu’on leur a donné un coup de balai.

A 67 ans, on leur demande de partir alors que c’est maintenant qu’ils ont besoin d’eux. Il aurait été plus logique de faire une retraite à 75 ans et descendre graduellement jusqu’à 65 ans, le temps de former les gens, mais pas de manière brutale comme cela se fait actuellement. Moi je dis qu’ils ont créé un conflit de générations. Les chefs de service qui étaient installés dans leur bureau, on les fait sortir brutalement pour être remplacés par d’autres, médiocres. Ainsi, le professeur n’étant plus chef de service, son salaire est subitement tronqué de 10.000 da. D’autre part, on veut inciter les gens à aller vers l’intérieur, comment ? En lui attribuant un logement de fonction, social de surcroît, avec le bon vouloir du wali ? Comment voulez-vous qu’il soit motivé à aller travailler à Tamanrasset, Tindouf ou Bechar ? On fait aussi des incitations en proposant d’aller dans des hôpitaux mixtes, impliquer la sécurité sociale qui va permettre d’aider à aller dans le privé or cela profite à l’enrichissement de ce dernier, ensuite, ils parlent d’ouvrir des écoles de formation de sage femmes à Bechar, Ouargla et Laghouat, c’est bien, mais insuffisant.

Ouest Tribune : Doit-on en déduire par là qu’il se pose aujourd’hui un problème de répartition ?

Pr Boubekeur Mohamed : En effet, d’ailleurs je me demande pourquoi la carte sanitaire qui a été votée et acceptée en 2015 n’a pas abouti ? Et aujourd’hui, ils voudraient faire des assises ? Je leur dit, à la rigueur appliquez cette carte qui stipule une répartition équitable des structures et des personnels, la formation, les instituts, etc. En 2018, il y eut la Loi sanitaire adoptée lors des assises tenues à ce propos, pourquoi n’a-t- elle pas été, elle aussi appliquée ? Rien n’est fait. Si c’est pour sortir avec des recommandations qui ne seront pas appliquées à quoi serviraient des assises ?
D’autre part, concernant le service civil, le président de la République avait déclaré qu’il allait revoir le système. Ceux qui acceptent d’aller au sud pour l’accomplir, soit pour une année, ne travailleraient en fait que 3 mois sur 12, si l’on tient compte des congés, des permissions, etc. En fin de compte, il n’y a rien de réglé là bas. On mute quelqu’un pour aller se balader et revenir au bout d’une année. D’autres questions taraudent l’esprit. Pourquoi on va voir à Aouf s’ils n’ont pas de médecin, alors qu’à quelques pas d’ici, à Boutléllis, c’est le désert. La carte sanitaire suppose une répartition équitable, on s’inquiète de la situation à Reggan, alors qu’à Bechar, il y a un manque flagrant d’enseignement, de formations et de médecins. A Kenadsa, qui est la première ville électrifiée de l’Algérie, de plus de 20.000 habitants, il y avait un hôpital du temps de l’administration coloniale qui fonctionnait, mais il n’y a pas de spécialistes, au mieux quelques médecins généralistes qui se roulent les pouces. Ce n’est pas normal ! En fait, tout est bloqué, aucune mutation ne se fait par le Nord.

Ouest Tribune : S’agit-il d’un problème de gestion si l’on se réfère aux dysfonctionnements que vous évoquez ?

Pr Boubekeur Mohamed : La problématique est dans l’évaluation. On n’a jamais formé des directeurs d’hôpitaux à la gestion administrative. Les directeurs administratifs des structures hospitalières et les responsables de wilaya en matière de gestion hospitalière, sont mal formés. Ils nécessitent une formation continue et ce n’est pas en les rassemblant tous les trois mois que les choses vont avancer dans le bon sens. A Oran, c’est une catastrophe. Que fait le SG du Ministère de la Santé ? Tous les ministres qui viennent, les maintiennent en leurs postes.

Ouest Tribune : Revenons si vous le voulez, à la gestion du Covid…

Pr Boubekeur Mohamed : Pour en revenir à la gestion du Covid, je tiens à préciser que notre hôpital l’EHU « 1er Novembre » d’Oran a été félicité grâce à des actions réfléchies. Le défunt Pr Mansouri, l’ex Dierceteur général, avait isolé le service Covid dans une structure hospitalière, et comme on ne pouvait pas faire autrement, on a divisé le personnel de l’EHU. On s’en est bien sortis. Puis on a instauré la structure d’El Kerma. Ce qui n’a pas été fait à Alger et ailleurs, et ce qui a fait que les malades chroniques et les cancéreux n’ont pas pu être pris en charge ; cela a fait beaucoup de morts. Actuellement, il y a un gros problème qui se pose en Algérie et qu’on arrête de dire des bêtises. Il n’y a pas les radiothérapies et les accélérateurs. Les gens d’Alger, d’Oran sont obligés de se déplacer jusqu’à Bechar, a Tlemcen ça ne marche pas, à Bel Abbes, c’est archi -complet.
A Bechar, ils ont 3 accélérateurs, c’est la ruée. Les malades sont parqués dans des hôtels, 8 par chambres, ils subissent des thérapies pour aller ensuite se faire opérer ailleurs pour ceux qui ne peuvent pas rester là-bas, mais on perd beaucoup de malades comme ça. Moi j’ai une malade ici à Oran qui a dépensé 60 millions de cts en vendant ses bijoux, et que j’ai été obligé d’orienter ailleurs, c’est dramatique. Quand je parle de Covid, je parle de tous les malades hospitalisés, on ne parle pas de ceux qui sont alités chez eux. Ce qui veut dire que le nombre de malades est encore plus important.
Et la plupart, ce sont des patients non-vaccinés. Alors pour l’exemple de la mauvaise gestion, nous avons ramené cela fait deux mois une unité d’oxygène qui n’est pas encore fonctionnelle et ce, juste pour un petit raccord ! Voilà pourquoi je pointe du doigt la DSP d’Oran. Il y a une négligence ahurissante. C’est vrai que le Delta est dominant mais qui nous dit que l’Omicron n’est pas là ? Quant au personnel médical et paramédical, comme cité ci haut, je réaffirme qu’il fatigué, malade, maltraité même, qui n’a pas ses droits. C’est arrivé à un moment où les Européens incitent leurs personnels à ne pas prendre de congé qu’on leur paie en contrepartie jusqu’à 2000 euros la semaine pour reculer leurs vacances, tandis que chez nous, on les laisse se débattre dans leur désarroi. Et quand un personnel ou un médecin meurt, au mieux on tient une minute de silence en guise d’hommage et 24 heures après, on l’oublie. L’Algérie a aujourd’hui officiellement plus de 6.000 morts.

Ouest Tribune : Doit-on craindre une rupture des produits médicaux de consommation ?

Pr Boubekeur Mohamed : On dit aujourd’hui qu’on a avancé sur les produits de consommation, c’est-à-dire l’oxygène, etc. Mais demain, si c’est surchargé, comment va-t-on faire ? Qu’en sera-t-il de la gestion des médicaments à un certain moment ?
Est ce qu’en cas de réelle tension, l’Algérie, a les médicaments qu’il faut ? Le ministre de l’industrie pharmaceutique a dit que l’Algérie fabrique près de 50% de ses médicaments ; mieux encore, il a dit que l’Algérie a, en plus de 5 mois, fait un bénéfice de 40 millions d’euros et après il dit, on a fait un bénéfice de près de 800 millions d’euros parce qu’on a réduit la facture. Mais au dépend de qui ?
Les diabétiques sont en train de mourir à cause de l‘insuline, les génériques ne sont pas efficaces. On dit qu’on va fabriquer les produits d’hématologie et de cancer, mais quand ? Il y a une rupture du doliprane, les lobbies importent la matière première mais ne produisent pas le médicament. Le ministère de l’industrie pharmaceutique soutient qu’avec la facture de l’exportation on va réduire la facture de l’importation. Comment est ce possible avec tous les lobbies qui envahissent le secteur ? Moi je dis que nous sommes loin pour affirmer que nous allons dominer le problème. Et encore, car si l’Omicron est plus ou moins identifié, il peut y avoir d’autres variant qui risquent de surgir, parce qu’il mute à chaque fois quand il trouve les moyens de muter. L’omicron a muté plus de 32 fois, il est très contagieux, il se propage à une vitesse phénoménale. Il a été question récemment d’un variant congolais, c’est pour vous dire. Ceci dit, on avance par ailleurs, que si un virus commence à muter fortement, c’est que ça peut annoncer la fin de la pandémie.
Entretien réalisé par Karim Bennacef

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