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Le réalisateur Merzak Allouache : «Le cinéma, c’est résister pour exister»

Sous les projecteurs du Théâtre régional Abdelkader Alloula d’Oran, le maître du cinéma algérien, Merzak Allouache, a livré, dans le cadre du Festival international du film arabe, un master class à la fois lucide et bouleversant.

Devant un public d’étudiants, de jeunes réalisateurs et de passionnés du septième art, il a livré une leçon de cinéma, et de vie, dont le message central tenait en une phrase: «Le cinéma est un acte de résistance avant d’être une industrie.» Plus qu’un simple retour sur carrière, cette rencontre fut un manifeste pour un cinéma libre et sincère. En retraçant plus d’un demi-siècle de création, Allouache a rappelé que son parcours, de «Omar Gatlato» à «Harragas» ou «Normal !”, s’est construit dans la rigueur, la passion et la résistance à l’uniformisation. «Nous n’avions ni moyens techniques ni structures solides, mais une seule certitude: celle de raconter nos propres histoires», confie-t-il, revenant sur la genèse d’«Omar Gatlato», film pionnier qui, en 1976, a révolutionné le regard sur la jeunesse et les codes de la société algérienne. Son credo n’a jamais changé: «L’imagination et la sincérité sont les seules vraies ressources du créateur. L’argent et la technique viennent ensuite.» Cette phrase, reprise par plusieurs jeunes présents dans la salle, résume une philosophie artistique fondée sur la conviction que le cinéma n’est pas un luxe, mais une nécessité. Un regard critique sur la société et sur lui-même Tout au long de son intervention, Allouache a déroulé les grandes étapes d’une œuvre dense, plus de trente films, où s’entremêlent fiction, documentaire et introspection sociale.
De «Bab El-Oued City» à «Harragas», son cinéma s’est voulu un miroir sans complaisance des réalités algériennes: les désillusions de la jeunesse, la quête de liberté, le poids du non-dit et des fractures sociales. «Je n’ai jamais voulu faire un cinéma confortable», insiste-t-il. «Mes films questionnent, dérangent parfois, mais c’est le rôle même de l’art : bousculer pour éveiller.» Pour lui, la caméra demeure une arme pacifique, un outil de réflexion et de résistance. «Créer, c’est déjà refuser la résignation.
C’est dire qu’un autre regard est possible». Le doyen du cinéma algérien a également dressé un constat sans détour sur la situation actuelle du septième art national : manque de financement, rareté des salles, absence de circuits de distribution. Mais pour lui, ces obstacles ne sont pas une fatalité. «Ce n’est pas l’absence de moyens qui tue le cinéma, c’est l’absence de volonté», a-t-il martelé, déclenchant une salve d’applaudissements. Allouache estime que la survie du cinéma algérien passe par la persévérance des créateurs indépendants et la lucidité des institutions culturelles. «Nous devons cesser d’attendre que les solutions viennent d’ailleurs. L’énergie est ici, dans nos histoires, nos quartiers, nos visages». Abordant la question des jeunes réalisateurs, Allouache s’est voulu à la fois bienveillant et exigeant. «Les jeunes cinéastes ont aujourd’hui des outils que nous n’avions pas. Ce qu’ils doivent préserver, c’est la sincérité du regard. Le reste s’apprend». Il a encouragé cette génération à puiser dans la vie quotidienne la matière d’un cinéma authentique, loin des clichés et des modèles importés.
«Nos récits n’ont pas besoin d’être validés ailleurs. L’universalité vient de l’authenticité», a-t-il souligné avec force. Plus qu’un hommage à une carrière, ce master class a pris des allures de testament artistique. Merzak Allouache a parlé du doute, de la solitude du créateur, mais aussi de la beauté de cette lutte silencieuse pour faire exister une œuvre dans un environnement souvent indifférent. «L’art naît souvent du manque. Quand tout est facile, la passion s’endort. Mais quand il faut se battre pour exister, l’œuvre devient vivante», a-t-il conclu, sous un tonnerre d’applaudissements.
Nassim.H

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