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Mort subite du cinéma à Oran : deuil éternel pour le 7ème art

La sordide et inexpugnable descente aux enfers du 7ème art à Oran s’identifie lamentablement à travers la disparition de 46 salles de cinéma sur les 52, qui existaient et dont la construction date de l’époque coloniale.

La grande majorité de ces salles obscures a été détournée de sa vocation initiale, alors que le reste tombe déplorablement en ruine. La pénible réalité du terrain est effarante et effrayante avec, à titre d’exemple entre autres, des cinémas transformés en parking, en gargotes, en un lieu de commerce informel de vente d’eau douce et même en hôtel. Parmi les sept salles de cinéma restantes figure le Régent, situé rue Larbi Ben M’Hidi, sous tutelle du ministère de la culture, qui a été certes rénové mais ne fonctionne uniquement et épisodiquement qu’à l’occasion du festival international du film Arabe.

Le Colisée, répertorié sur la ruelle adjacente l’Artillerie, est utilisé, à l’instar du Pigalle, sis sur la transversale Lourmel, exclusivement pour des meetings lors des élections notamment et enfin la cinémathèque, ex-cinéma Vox, dans le quartier Miramar, qui a été ciblée, quelques années auparavant, par une grande opération de réhabilitation. L’insolente indifférence éprouvée par les responsables locaux, qui se sont succédé durant ces quarante dernières années à la tête du secteur névralgique de la culture, a été directement à l’origine de cette hécatombe, qui ne dit pas son nom.

«C’est au cours du début des années 1990, que l’irréversible mort lente des salles de cinéma a commencé perfidement à se manifester et ce, avant de prendre une ampleur incontrôlable. L’idéologie salafiste a décrété, à cette époque, le cinéma comme étant un péché impardonnable à l’instar de toutes les autres activités culturelles. Suprême ironie, la plupart des responsables du secteur a allègrement épousé cette aberrante idéologie et ont volontairement fermé les yeux sur l’exécrable effet de dominos sur les salles de cinéma à Oran.

L’inculte, fidèle compagnon du désuet, s’est ainsi donné à cœur joie pour faire tomber une à une ces prestigieuses salles de projection, comme aux jeux du tir au pigeon dans une foire foraine », a fait remarquer avec amertume un cadre à la retraite de l’ACVO, d’Oran, ex-office de la culture et des arts, contacté à ce sujet par Ouest Tribune, avant de renchérir avec autant de dépit « l’amère moquerie du sort veut que l’actuelle génération, comme sa précédente, n’a jamais mis les pieds dans une salle de cinéma à Oran et ne les mettra vraisemblablement jamais. Elle ignore complètement ce que veut dire le grand écran. Un ridicule grandement outrancier ». Toujours est-il que le constat établi au niveau de certaines salles de cinéma d’Oran sidère et agresse le regard et l’odorat.

Le cas le plus éloquent du cinéma Lynx, en plein centre ville d’Oran, à quelques mètres de l’entrée sous la voûte séculaire Les Arcades, qui se transforme le soir en dortoir pour les marginaux de tous bords. La toiture de ce lieu de projection s’est effondrée quelques années plus tôt sans susciter la réaction des responsables concernés. Une odeur de moisi, fade et écœurante, évoquant une lente décomposition se dégage de cette salle de cinéma, qui a autrefois offert d’agréables moments de détente aux adeptes du 7ème art et qui est devenu aujourd’hui un lieu de reproduction pour les rongeurs où s’amoncèlent depuis la nuit des temps de répugnants amas de toutes sortes.

Le cinéma l’Escurial, sis à un jet de pierre du siège de la Mouhafadha d’Oran, a été piteusement logé, pendant de longues années, à la même sordide enseigne et ce, avec l’expropriation de son entrée par des soulographes et autres sdf. Ses abords immédiats empestent l’odeur d’urine et des excréments, empreintes intelligibles des adeptes de la défécation à l’air libre. Un navrant similaire constat est relevé au niveau du cinéma Le Rex, dont la carcasse trône lugubrement à la naissance de la rue Tlemcen. Sacrifiées sur l’autel de l’abêtissement, les prestigieuses salles de cinéma d’Oran, ont finalement péri dans les eaux troubles de l’indigence des esprits.

Rachid Boutlélis

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