La probabilité de voir le Maroc s’approvisionner en gaz algérien à partir d’Espagne est exclue. Le fameux accord d’inversion de flux du GME négocié entre Rabat et Madrid ne concerne pas du tout le gaz livré par l’Algérie à travers le Medgaz.
Le marché international du gaz connaît un niveau inédit d’effervescence. Les prix sur le marché spot ont progressé de 600%. Du jamais vu. La raison de cet état de fait tient au niveau très bas des stocks européens, dans un contexte géopolitique dégradé qui voit l’offre russe incertaine. Cette analyse de l’expert algérien Mourad Preure remet en perspective une situation très compliquée pour les pays consommateurs et à plus forte raison, le voisin marocain qui, après la fin de l’accord qui le liait à l’Algérie dans le cadre du gazoduc Maghreb-Europe (GME) est dans une posture très difficile.
«Le Maroc vit déjà une crise économique inquiétante, dont les équilibres extérieurs sont aggravés par les effets de la pandémie de la Covid-19, devra subir la pression d’un marché gazier concurrentiel, de plus en plus intense et imprévisible.»
Obligé d’acheter son gaz 600 fois plus cher, Rabat est contraint d’aller voir ailleurs qu’en Espagne pour se procurer le produit, actuellement très demandé et en situation de quasi-pénurie. Contractuellement, Madrid ne pourra pas revendre le gaz livré par l’Algérie à un pays tiers. En effet, l’expert pétrolier explique qu’en vertu de la clause de destination incluse dans les contrats gaziers entre l’Algérie et l’Espagne, cette dernière n’est pas autorisée à revendre le gaz algérien à des clients hors du territoire espagnol. De fait, la probabilité de voir le Maroc s’approvisionner en gaz algérien à partir d’Espagne est exclue. Le fameux accord d’inversion de flux du GME négocié entre Rabat et Madrid ne concerne pas du tout le gaz livré par l’Algérie à travers le Medgaz. Mourad Preure est limpide sur le sujet. «L’Espagne considère l’Algérie comme un partenaire stratégique, pas seulement sur le plan gazier, et ne peut se hasarder à enfreindre la lettre des contrats, et surtout l’éthique des affaires avec notre pays», estimet-il.
Donc, la nature des relations algéro-espagnoles interdisent toute infraction de ce genre. En clair, «tous les volumes expédiés d’Algérie doivent être consommés en Espagne. Libre aux énergéticiens espagnols de spéculer, faire des opérations d’arbitrage ou de couverture contre le risque pris en achetant et revendant des volumes spot au plus offrant. Les volumes algériens ne peuvent être concernés par ces transactions», explique l’énergéticien.
Ceci entraînant cela, l’accord maroco-espagnole permet au Maroc d’acquérir du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés internationaux, le faire livrer dans une usine de regazéification de l’Espagne péninsulaire et utiliser le GME pour l’acheminer vers son territoire. Cette solution sera confrontée à de nombreux problèmes, à leur tête «la contrainte de temps», souligne Dr. Preure.
«Inverser le flux gazier demande du temps et de l’investissement, chose dont ne semble pas disposer le Maroc pour satisfaire ses besoins immédiats en gaz naturel», après la décision algérienne en octobre dernier de ne plus exporter son gaz via le GME. On aura ainsi déduit que si le Maroc peut assurer la satisfaction de ses besoins gaziers, ça sera au prix fort. Le temps où il bénéficiait de près d’un milliard de m3 de gaz algérien, dont une partie gratuite, au titre des droits de passage, et une autre au prix contractuel, préférentiel, est fini. Aujourd’hui, il devra faire avec une demande asiatique très forte qui tire les prix vers le haut. Il n’a d’autres choix que de suivre cette courbe haussière. «Le Maroc a-t-il les moyens, et à quel prix livrera-t-il ce gaz au client final ?», s’interroge l’expert. Son interrogation est d’autant plus légitime que les clients finaux qui sont les foyers marocains et les unités de productions ne pourront jamais suivre le rythme, les premiers en raison d’un pouvoir d’achat déjà dégradé et les seconds eu égard au facteur de production qu’est l’énergie et qui fera flamber les prix des produits usinés au Maroc. La boucle est ainsi bouclée. Le Makhzen n’a pas fini de digérer ses décisions farfelues.
Nadera Belkacemi