Oran

LE PROFESSEUR ET SÉNATEUR BOUBEKEUR MOHAMED À OUEST TRIBUNE:
«La décision de départ en retraite des professeurs de l’enseignement supérieur, est labyrinthique»

Dans cette troisième et dernière partie de l’interview qu’il a accordée à Ouest Tribune, le professeur Boubekeur Mohamed, sénateur de la wilaya d’Oran, revient sur deux dossiers, celui du départ à la retraite des professeurs de l’enseignement supérieur et l’introduction de l’anglais au primaire

Entretien réalisé par Karim Bennacef

Ouest Tribune : La question du départ à la retraite des professeurs de l’enseignement supérieur, n’a semble-t-il pas toujours été tirée au clair. Qu’aviez-vous à dire sur le sujet ?

Pr Boubekeur : Avant de mettre ses enseignants en retraite, l’Algérie doit d’abord leur donner l’opportunité de se préparer moralement et psychiquement, deuxièmement, se préparer matériellement et troisièmement, décider une bonne fois pour toute, d’un âge fixe de la retraite. Un départ en retraite se prépare. L’enseignant dès qu’il commence à pratiquer son métier, il doit savoir avec exactitude, à quel âge il sortira en retraite. Mais il se trouve que la retraite a toujours posé un problème en Algérie, que ce soit parmi les fonctionnaires ou parmi les enseignants du supérieur. Et pour éviter toutes ces errances, la question de la retraite et l’âge de départ doivent être discutés au sein du gouvernement et pas entre ministres. C’est dans et par le gouvernement que les décisions doivent être prises.
Or, pour l’heure aucune décision n’est prise. La situation est labyrinthique. Et pour cause, on dit retraite de la chefferie de service à 70 ans et ensuite on se rétracte pour dire, on va la descendre à 67 ans et on va laisser le professeur dans son service jusqu’à 75 ans, âge de la retraite définitive de l’enseignement supérieur et de la santé, pour encore revenir sur la décision, de manière légère entre deux ministres, et déclarer la retraite à 70 ans et de l’université et de l’hôpital. Aujourd’hui, on est encore dans l’impasse. Le ministre de la Santé de l’époque, Boudiaf a proposé à Sellal, prétextant la pression des syndicats, parce qu’ils voulaient faire sortir des gens pour libérer des postes pour eux, le départ en retraite à l’âge de 67 ans. Cela s’est décidé entre eux, comme ça en toute désinvolture. Or ce sont ces mêmes syndicalistes là, qui étaient à l’origine de cette proposition et qui poussaient des gens à la sortie, qui en sont aujourd’hui les premiers concernés mais qui ne veulent plus sortir avant l’âge de 70 ans, parce qu’ils trouvent que 67 ans, c’est trop tôt !
Alors moi, je leur dis, ayez le courage et la force de faire ce qui se fait à travers le monde, une fois pour toute, soit la retraite à 65 ans, le problème est ainsi réglé que ce soit au niveau de l’université ou au niveau de l’hôpital. Pour être pragmatique, je propose que la retraite soit fixée à 70 ans et que l’on recule graduellement jusqu’à la stabiliser à 65 ans, avec une ou deux années de plus pour ceux qui sont émérites. Des pays comme la Tunisie, la Jordanie, la Libye, la France, l’Allemagne ont adopté ce système.
Ceux qui doivent rester par obligation de service, peuvent y prétendre sur une simple demande. Mais en disant retraite de la chefferie de service à 67 ans, pour rester au niveau du service jusqu’à 70 ans, c’est de la rigolade ! Une fois que vous n’êtes plus chef de service, vous ne représentez rien du tout et il n’y a que les gens médiocres qui s’accrochent à leurs services parce qu’ils n’ont rien à faire dehors pour la simple raison qu’ils ne peuvent s’investir ni sur le plan du secteur public, ni sur celui du privé.
Ce à quoi, on vous répondra, on les a mis à 70 ans exprès pour ne pas perturber le secteur et parce qu’ils ont la possibilité de prétendre après aux postes de professeurs associés. C’est du foutage de gueule ! Comment mettre des enseignants en retraite avec un salaire comme il se doit, pour le recruter ensuite en tant que professeur associé avec 40 % de majoration de son salaire ? Pourquoi le faire sortir pour le recruter encore une fois ?
Un professeur associé, ça se mérite et on ne y prétend que sur des travaux scientifiques et un éméritat. Là, on peut décider qui le sera avec une année renouvelable en fonction des travaux produits. On ne peut pas dire à 1000 personnes que vous êtes professeur associé, c’est un mensonge, cela discrédite la valeur de l’enseignant.
Il y a des possibilités d’être recruté en tant que professeur associé, mais selon certains critères. N’en déplaise à certains, je vais être logique et enlevons cette histoire de 67 ans. Je parle en toute neutralité puisque je n’en suis pas concerné. Donnons la chance de continuer jusqu’à 70 ans, mais à la seule condition que ça descende année par année, jusqu’à 65 ans.
Ainsi, les concernés par la retraite auront le temps nécessaire de se préparer. Arrêtons de tergiverser, je suis sûr que ça n’a pas été discuté au gouvernement et encore moins avec le président de la République. C’est vrai qu’il y a eu des écrits de la part du syndicat mais personne n’a rencontré le Président de la République pour lui expliquer la réalité des choses.

«L’introduction de l’anglais au primaire est essentielle, mais un peu précipitée»

Ouest Tribune : un mot sur l’introduction de l’anglais, à partir de cette année, dans le cycle du primaire, d’autant plus qu’il s’est trouvé que des conférenciers, dont vous-même, selon votre aveu, aient été confrontés au handicap de la langue ?

Pr Boubekeur : L’introduction de la langue anglaise dès le cycle du primaire, est à mon sens une bonne chose, voire même une excellente chose. L’apprentissage de trois langues que sont l’arabe le français et l’anglais, à long terme, c’est important.
Dans beaucoup de domaines, notamment scientifiques, à l’exemple de la médecine, si vous ne dominez pas l’anglais, vous ne réussirez pas. En revanche, j’estime que nos responsables qui devaient s’atteler à sa mise en place, ils n’ont rien fait. Une décision est une décision, certes, mais son application demande du temps et c’est pour cela qu’au niveau du ministère la rentrée, a été retardée.
Il faut préparer les enseignants, les informer de ce qu’ils vont enseigner, préparer les manuels et les outils pédagogiques, définir qui doit enseigner en anglais et selon quels critères. On ne peut pas former l’encadrement pédagogique en un mois, les professeurs d’anglais, ça ne court pas les rues aujourd’hui.
Des enseignants sont en train de fuir l’enseignement, à tel point qu’au niveau des crèches, aujourd’hui, on demande le recrutement de gens non professionnels qu’il faut former sur le tas. Donner la possibilité d’enseigner l’anglais, c’est très bien, le prévoir à partir de 2024, c’est préférable, en ayant la prétention de former 5000 enseignants de telle catégorie, 3000 de telle autre, tout en prenant le temps d’élaborer convenablement, un programme. On ne peut pas le faire en l’espace de un, deux mois ou 3 mois, c’est impossible, d’autant plus que cela va retarder la scolarité, en plus tout ce qui va être fait, le sera de façon rocambolesque. On prendra des étudiants qui ont fait 2 ans ou 3 ans d’anglais. Ce n’est pas normal, c’est du bricolage. C’est le seul reproche que je leur fais, c’est un problème de programme, de gestion, d’organisation et d’absence de communication. On n’aurait rien perdu à attendre une année de plus, bien que j’approuve totalement l’initiative. L’anglais, est devenu la langue la plus parlée en France pour ne citer que ce pays-là. Dans le milieu médical, beaucoup ont souffert du handicap de la langue, car les ouvrages de communications sont élaborés en anglais. J’ai eu à en faire l’expérience lors d’une conférence en Jordanie, où ma communication était rédigée en français, alors que la salle était composée essentiellement d’anglophones. J’ai dû procéder à la traduction en anglais de mon exposé et non sans difficulté. Ceci pour dire que si la langue anglaise demeure aujourd’hui incontournable, et son enseignement essentiel, voire vital, l’excès de précipitation peut parfois ne pas aboutir aux résultats escomptés.

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