«L’insidieux sentiment de mal-être et d’insécurité»
Partout, sur les rues d’Oran, au centre ville et dans les quartiers, des centaines de jeunes et de moins jeunes individus, souvent flanqués d’un gilet jaune ou vert fluorescent ressemblant à ceux des agents municipaux de nettoiement, guettent le moindre automobiliste voulant stationner pour lui annoncer leur présence en tant que «gardien de véhicules» fixant ses régles et ses tarifs. Ils ont parfois l’air louche et méchant, brandissant même un bâton ou un gourdin en «signe d’avertissement».
Un avertissement non pas pour d’éventuels voleurs de véhicules, mais surtout pour les récalcitrants qui refuseraient de «payer» 50 da le stationnement pour quelques minutes d’arrêt. Avec le temps, le phénomène a fini par s’installer en banalité, perçue parfois comme une norme de fonctionnement normal de la vie collective à Oran. Et les automobilistes concernés vivent ce phénomène, chacun à sa façon, selon sa situation sociale et son humeur du moment.
Certains parlent d’une forme de «Saddaka» à des chômeurs sans emplois, d’autres soulignent le fait que le stationnement payant devrait étre géré par la mairie avec des équipements modernes de paiement selon le lieu et la durée du stationnement, mais tous s’accordent à dire que le fléau contribue à la clochardisation de l’image de la Cité sans que les pouvoirs publics concernés ne puissent encore trouver de solution juste et efficace, permettant en ce domaine le rétablissement de l’Etat de droit. Évoquant souvent ce sujet, les mauvaises langues oranaises ne cessent de montrer du doigt le laxisme, le renoncement, voire l’incompétence des gestionnaires municipaux qui semblent à l’évidence bien dépassés et submergés par les tâches et les missions prioritaires d’entretien et de maintenance du cadre urbain.
Un sociologue oranais, en observateur avisé, souligne que ce fléau des gardiens auto-proclamés ne cesse de semer au sein de la société un «insidieux sentiment d’insécurité et de mal-être». Car, explique-t-il, il ne s’agit pas ici de payer une taxe de stationnement, et donc d’occupation temporaire du domaine public pouvant être légitimement exigée par la collectivité locale, mais de verser en quelque sorte une caution de «garantie de préservation» contre toute atteinte ou dégradation de son bien. Il se trouve que la préservation des personnes et des biens publics et privés relèvent des attributions et des compétences de l’Etat.
Mais dans certains endroits, comme les grandes artères du centre ville ou aux alentours du palais des expositions, et du palais des sports « Hamou Boutlelis » lors de grands événements sportifs ou culturels, les pseudo-gardiens de voitures se conduisent pratiquement comme des policiers de la circulation, organisant le stationnement et dictant leurs lois en imposant aux usagers des tarifs pour se garer. Un peu à l’image des squatteurs irréductibles des vieilles bâtisses en ruine et des baraques de bidonville, les gardiens auto-proclamés sont également un indice des fortes pressions sociales qui pèsent sur le patrimoine foncier au nom «du droit au travail et du droit au logement» pour tous les Algériens. Un slogan certes légitime, mais qui, hélas , sert aussi trop souvent à des énergumènes, prédateurs sans scrupules, à piétiner les lois de la République pour gagner de l’argent ou s’enrichir illicitement…
Par S.Benali