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Entretien avec le Pr Boubekeur Mohamed, sénateur, chef de service à l’EHU Oran:
«La 3ème vague a été administrativement mal gérée»

La pandémie, la vaccination, le « Big Day », les hôpitaux, la rentrée sociale et la contractualisation, ont été les principaux chapitres débattus avec le Pr Boubekeur Mohamed lors de cet entretien exclusif accordé à Ouest Tribune. Sans ménagements, de nombreuses défaillances sont mises à nu. Ecoutons-le :

Ouest Tribune : De prime abord, deux questions s’invitent inéluctablement, à savoir, sommes-nous aux portes d’une 4ème vague ? Et, a-t-on tiré les conclusions nécessaires de la 3ème vague ?

Pr Boubekeur Mohamed : Il faut savoir que la 3ème vague, a été fortement létale, car le virus Delta était contagieux. Mais le problème qui s’est posé à la 3ème vague, est que d’abord nous avions eu un temps de répit, nous nous ne sommes pas préparés convenablement, parce que nous pensions qu’elle ne serait pas aussi violente. Le virus Alpha a commencé en mars, en juin, il était encore là, vite rejoint par le virus Delta, lui aussi fortement contagieux. L’addition de ces deux virus a accentué la violence de cette 3ème vague. Et comme le virus Delta, touche beaucoup plus les jeunes, et même ceux qui n’avaient pas de morbidités avaient été touchés, la plupart du temps, ils arrivaient en réanimation pour être entubés. Jusqu’au jour d’aujourd’hui, nous assistons à des décès et à une mortalité assez importante concernant cette tranche là, située entre 18 et 40 ans. Aussi, s’était posé le problème des médicaments et de l’oxygène. Toutefois, aujourd’hui, il y a moins de consultations, moins d’hospitalisations, moins de malades en réanimation, on constate une baisse d’au moins 50 %, avec moins de décès. Nous étions à 30 décès par jour, aujourd’hui, nous sommes à 03, 04 décès, ce qui est une avancée notable. Ceci dit, la 4ème vague, est une certitude, mais sera certainement moins violente que la 3ème en termes de contaminations et d’hospitalisations, d’admissions en réanimation et en termes de décès. Cela est visible à travers les hôpitaux, moins surchargés, car le virus a tendance à régresser de violence. Ensuite, nous n’avons qu’un seul virus, le Delta, en souhaitant qu’il n’y ait pas l’arrivée des deux nouveaux virus, le virus « C1-2 » qui vient de Colombie et le virus « Mu », dont on ne connait ni leur contagion, ni leur virulence. Aujourd’hui avec la réouverture du transport aérien, les virus ont franchi les frontières de nombre de pays, dont la France, l’Angleterre, la Suisse, etc. Ceci dit, le « Delta », reste toujours virulent, mais j’ai l’impression qu’il mute moins. Ce qui est différent aujourd’hui, est que l’on s’attend à cette nouvelle vague, on est prêt à l’affronter et nous avons l’oxygène nécessaire. Je salue au passage la mobilisation des citoyens à travers le territoire national et la diaspora, pour l’acquisition d’unités de production d’oxygène, de concentrateurs, ramenés de partout, d’Italie de Turquie. Nous avons acquis un équipement qui nous permet de lutter contre la pandémie. Ensuite, nous avons des unités de production de médicaments, nous importons moins de 50%, nous faisons une économie de plusieurs millions de dollars, les moyens de protection sont suffisants. Et enfin, nous avons fait en sorte de booster la vaccination. Maintenant, il suffit qu’il y ait une bonne gestion de la part des gens qui sont à la tête des unités.

Ouest Tribune : Laissez-vous entendre que la 3ème vague a été mal gérée ?

Pr Boubekeur Mohamed : D’abord je tiens à rendre hommage à ceux, parmi les blouses blanches qui sont morts, ce sont réellement des martyrs, ils ont lutté au moment fort de la pandémie avec un minimum de protection car la logistique n’a pas été convenablement respectée. Nous avons perdu plus de 311 médecins et si on parle du personnel soignant, nous sommes à 450, à l’échelle nationale. Ceci n’est pas une faute du gouvernement, car à partir du moment où les moyens de production existent et que certains hôpitaux n’ont pas pu les avoir ou pas, ou parce qu’il y a eu une mauvaise gestion administrative ou encore une mauvaise coordination entre la pharmacie centrale et les pharmacies dédiées aux hôpitaux, alors malgré tous les efforts étatiques et malgré qu’il pouvait y avoir une logistique conséquente, il y a défaillance dans la gestion et dans l’accompagnement. Ce n’est même pas une négligence, ça peut être une incompétence ou une prise de décision tardive de la part des gestionnaires, ce qui aboutit à une mauvaise coordination entre le personnel soignant et la gestion administrative et fait qu’apparaissent des failles. Mais j’insiste à dire que cela n’est pas dû à une faute du gouvernement. Avoir la protection, suppose avoir des casaques, un masque, des gants, etc. Aujourd’hui, nous produisons des millions de masques, de gants, de casaques, du gel, donc nous sommes arrivés à faire quelque chose. Pour les médicaments, nous faisons tout avec la pharmacie industrielle et le ministère de l’industrie pharmaceutique. Aujourd’hui, il y a 08 unités qui peuvent produire des médicaments, il y a plus de 50 % des médicaments qui sont produits ici, ce sont peut-être des génériques, mais ils sont efficaces, parce qu’on passe par Saïdal.

Ouest Tribune : L’oxygène, a été au centre de la polémique lors de cette 3ème vague ….

Pr Boubekeur Mohamed : En ce qui concerne l’oxygène, pour certains cas graves, il a été nécessaire de mettre 70 litres. Des quantités énormes étaient indispensables pour répondre aux besoins des centaines de malades hospitalisés à l’échelle nationale, pendant que la production de l’oxygène était limitée. Nous étions à 350 milles litres, ce qui était totalement insuffisant. L’entretien des usines de production n’avait pas été fait correctement, par conséquent certaines d’entre elles sont tombées en panne. Le gros problème est que nous avions une grosse unité étatique qui produisait de l’oxygène et que nous avions arrêtée en 1974 pour laisser le champ libre au privé duquel sont nés « Ingaz », « Calgaz », dont la production est d’ailleurs pleinement éphémère. Heureusement, la société turque « Tosyali » a pu nous aider. Ceci nous a surtout ramené à réagir rapidement en important tous les jours des bateaux de 200 litres/jours. Les unités de productions étant insuffisantes, les décisions prises par l’Etat consistent à produire plus de 800 milles litres. Mais aussi, il y avait un problème de transport. Un camion qui fait la queue à « Tosyali » et va ensuite desservir 07 hôpitaux, le CHU, EL Kerma, Aïn El Türck, etc, distants les uns des autres, pour desservir des quantités minimes, c’est navrant. Quant un hôpital comme l’EHU qui possède deux cuves de 10.000 litres d’oxygène chacune, reçoit 1300 litres seulement, c’est désolant. Parce que cet hôpital, même s’il n’a pas le Covid, les malades qui sont opérés Covid, le sont à l’EHU, il reçoit de malades de Saïda, Tiaret, Mostaganem, vous avez une trentaine de césariennes Covid par jour, des bébés qui peuvent être contaminés donc à mettre sous oxygène ; des patients qui ont été opérés et placés en réanimation, admis pour des pathologies digestives ou autres, ça consomme aussi de l’oxygène. Vous convenez que ce ne sont pas les malheureux 1300 litres qui vont suffire.

Ouest Tribune : Apparemment, le passage de cette 3ème vague a causé des dommages collatéraux assez dramatiques. Qu’en est-il au juste ?

Pr Boubekeur Mohamed : Je tiens à signaler, et je lance même un cri de détresse, c’est une urgence absolue, les cancéreux sont pratiquement abandonnés à leur sort depuis 07 semaines. Les délais des interventions chirurgicales étant dépassés, ils meurent devant nous, on les voit mourir des cancers d’estomac, du rectum, alors qu’il fallait les traiter dans la semaine ou les 10 jours qui suivent après la chimiothérapie, pas plus. Avec 07 semaines de retard, le point de non-retour est atteint, ils sont condamnés à court terme. C’est inadmissible, moi, je ne peux pas accepter ça. Je parle de mon hôpital l’EHU à Oran, mais la situation est pareille partout, à l’hôpital Mustapha d’Alger, à Sétif, Tizi Ouzou, tous les services sont pleins de Covid. A la rigueur, on aurait pu réduire les interventions chirurgicales jusqu’à 70 %, ça aurait été tolérable, mais les abandonner, cela est inadmissible. Il y a aussi les cas médicaux, les insuffisants respiratoires, les cas de cardiopathie, ceux là, n‘ont-ils pas le droit d’être soignés, parce qu’il y a le Covid ? Le Covid est une chose, les activités autre chose. Il y a une action qui a été menée par feu Mansouri, l’ex DG de l’EHU Oran, nous avons dédié un hôpital de 240 lits au Covid, en l’occurrence « Nedjma » pour essayer de faire en sorte que les activités continuent au niveau de l’EHU, mais malgré ça, nous avons eu le Covid au niveau de l’EHU et on pouvait continuer les interventions chirurgicales. Mais on n’avait pas d’oxygène. Ce qui n’est pas du tout normal. Et là, je pointe du doigt la mauvaise gestion des administrateurs qui sont au niveau des hôpitaux, ce sont des incompétents, ils font des réceptions d’hôpitaux sans faire de réserves. Comment se fait-il que dans un hôpital de 240 lits qui est réceptionné, vous avez à peine 90 lits avec oxygène. A l’hôpital d’El Kerma, de 60 lits, et là, certains médecins sont eux aussi à blâmer ; on admet plus de 190 malades, pourquoi ? Pour qu’ils meurent puisque vous ne pouvez pas leur donner de l’oxygène ? Dans nombre de situations, des médecins restaient des heures et des heures au lit des malades, travaillant sous la menace, parfois sont frappés et agressés par des citoyens. Des citoyens enlevaient le masque à d’autres malades pour le mettre à l’un de leurs parents. Quand vous voyez un médecin faire semblant de faire un massage à un patient déjà décédé parce qu’il a peur de ses proches qui le menacent de mort, cela est intolérable. Pourtant, il y a des décisions qui ont édictées par le président de la République pour protéger le personnel médical et paramédical contre toute forme de violence, et de menace, c’est tout simplement la débandade. Donc, quelque part, nous avons été malmenés, nous n’avons pas été sécurisés. Je viens d’être d’ailleurs agressé il y a quelques à l’hôpital, parce que le scanner ne marche pas, nous l’attendons toujours.
Pour changer une pièce de l’appareil, il faut l’attendre de l’étranger, il faut peut-être même ramener une équipe de l’étranger, bien que nous ayons formé des ingénieurs, mais quand vous n’avez pas la pièce de rechange, c’est comme si vous n’aviez rien. J’ai averti le wali deux ou trois fois, j’ai écrit au ministre, que pourrait-on faire de plus ? Et là, je rends hommage aux citoyens ainsi qu’à toutes les masses qui se sont mobilisés, qui ont ramené des bouteilles d’oxygène. D’un autre coté, je suis très très en colère contre des voyous sans scrupule, qui ont profité de la situation et la santé des malades pour faire quintupler les prix des bouteilles d’oxygène et des concentrateurs. (A suivre….)

Karim.B

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