Oran

« Les sept fantômes de Hassina” de Saïd Boucetta : tragédies personnelles sur fond de tragédie nationale

“Les sept fantômes de Hassina“ est le premier roman de Saïd Boucetta. Un roman qui nous fait découvrir une famille où rien ne semble lier ses membres en dehors de la descendance biologique. C’est aussi le combat silencieux et tenace d’une jeune fille contre une fratrie et un père autoritaire, dont la gifle qu’il a asséné à sa fille, alors qu’elle caressait sa petite poupée, allait la marquer à vie. C’est comme si toute son enfance allait lui être volée. Un récit où on commence à découvrir les membres de cette famille, quand tout bascule dans l’irrationnel. La révoltée Hassina, qui a tenu tête à tout le monde devient d’un coup fragile quand elle se retrouve seule face à elle-même. Dans son triomphe face à la mort de tous les membres de sa famille, elle se voit obligée de les accepter dans ses délires et dans cet appartement qui sent la mort, le fratricide et le sang indélébile de cette sœur qui s’est sacrifiée pour elle.

L’ auteur passe ainsi de la description ordinaire du quotidien de cette famille de ratés et de tarés, à un style déroutant où la fiction s’entrechoque avec la réalité. Une prouesse littéraire qui vous tient en haleine et vous plonge dans un monde difficilement saisissable. La plume est alerte, les descriptions haletantes. Et le lecteur est pris dans un tourbillon d’interrogations et d’excitations qui, il faut le dire, est magistralement dépeint par l’auteur.

Et puis d’un coup tout s’arrête, pour découvrir un autre personnage, né lui aussi, dans cette grande tourmente qu’a connu l’Algérie. Un pays déchiré par une guerre civile et une horreur imposée par un terrorisme aveugle et inhumain. Farid le psy, que Hassina qualifie de son “ange gardien”, est au fond lui aussi un autre tourmenté, né d’un viol subi par sa mère tombé entre les mains des terroristes dans les années quatre-vingt dix.

En réalité, le livre est nourri par deux tragédies. Celle des hommes et des femmes de ce récit, mais aussi de la tragédie de tout un pays dans cette longue décennie noire où l’Algérie avait connu une violence terroriste insoutenable. Sans dévoiler la fin de cette trame où le destin des personnages est intimement lié à celui du pays, il faut saluer ici la maîtrise historique, psychologique et politique de l’auteur qui a su pénétrer et faire ressortir le fond de ces âmes déchirées, nourries du quotidien de leur société qui ne finissait pas de faire sa mue. Le roman à la fin tragique est ponctué de découvertes tout aussi excitantes les unes que les autres et de développements déroutants et inattendus où l’auteur semble jouer avec nos nerfs jusqu’au dénouement final.

Saïd Boucetta nous réconcilie dans son roman avec la grande littérature algérienne, celle de Kateb Yacine ou Mohamed Dib qui ont marqué à jamais de leur empreinte le monde littéraire algérien, car ils ont su, au delà de leur style inégalable, dépeindre merveilleusement la société où ils ont vécu.

Journaliste reconnu, Saïd Boucetta Kabyle d’origine, Algérois de naissance et Oranais d’adoption s’est révélé être un grand observateur de la société algérienne. Et dans ce roman “ Les sept fantômes de Hassina” édité par la maison “Haya Édition”, il confirme par un style déroutant et captivant sa grande connaissance des moindres frémissements de la société algérienne.

A.Blidi

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